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L’agroterrorisme dans nos assiettes 

lundi 1er octobre 2012, par Régis Poulet

Il n’est pas anodin que le livre de Michel Tarrier commence par citer l’ancien ministre de l’agriculture Bruno Le Maire : « Notre modèle agricole et alimentaire est un facteur d’identité dans notre pays (…) Il doit être aussi un exemple et un modèle pour le monde.  » Comment ne pas songer à la mise en garde de G.W. Bush clamant : « Notre mode de vie n’est pas négociable !  » Même intransigeance, même démagogie, même irresponsabilité devant les conséquences de ces modèles…


Pour sûr, Michel Tarrier n’est pas démagogue, il a même furieusement tendance à appuyer où ça fait mal. Comme d’autres opus, celui-ci est mû par une saine colère – c’est un pamphlet – et une information solide – l’auteur est un scientifique. Parmi tous les angles d’approche des problèmes écologiques, il faut bien admettre qu’il en est un peu abordé : l’agriculture et les agriculteurs. En France, tout particulièrement, pour diverses raisons afférentes à la sociologie, à la politique, à l’économie. Les pires sont à chercher du côté d’un attachement borné à la glèbe. Or, même si l’on ne saurait dédouaner le reste de la population des conséquences de son mode de vie sur la nature et la santé, les agriculteurs ne sont-ils pas les premiers à agir sur le vivant et sur le paysage ? D’où vient alors que l’on rechigne tant, en France, à évaluer leurs pratiques comme peuvent être évaluées les pratiques d’autres catégories de la population ? Serait-ce parce que l’agriculture est au fondement même des civilisations humaines depuis le néolithique ?

Fidèle à son franc-parler, Tarrier affirme d’une part avoir « fait de gros efforts pour ne pas succomber à la tentation de polariser sur l’entièreté de la profession agricole, pour respecter le distinguo » – ce dont on lui sait gré – et n’en considère pas moins qu’« un nouveau regard, nettement critique et intransigeant, s’impose sur des Terriens dont la tâche était de nous nourrir et qui désormais nous tuent par un lent mais sûr empoisonnement ».
Interrogeant la mutation de la profession depuis l’après-guerre, il constate que le paysan moqué pour sa rusticité dans les années 50 et incité à se mécaniser, moderniser, sert désormais d’alibi marketing pour faire accroire que les produits agricoles sont ‘du terroir’, ‘comme à la campagne’(sic), ‘comme au bon vieux temps’, etc., alors que la profession est très largement affidée (pour son profit et pour son malheur) aux « gangsters de l’agrotoxique » au fil de compromis et de compromissions qui ne datent pas d’hier et dont les politiques et les syndicats agricoles ne sont pas les derniers à profiter non plus.

Il n’est pas contestable que l’anthropocentrisme, surtout hérité des traditions judéo-chrétiennes, ait à voir avec l’indifférence envers un Vivant objectivé, réifié et agressé. Du spécisme à l’agrospécisme il n’y a qu’un pas. En effet, la prééminence de l’espèce humaine, lorsqu’elle devient une négation des droits des autres espèces comme, par exemple, dans le Code civil (article 528) qui assimile les animaux domestiques à des meubles, autorise tous les abus, tous les crimes contre l’éthique. Le spécisme est une discrimination envers les espèces non-humaines. Être antispéciste n’est pas être antihumaniste, puisque c’est une universelle sympathie bien comprise qui est à l’œuvre dans l’antispécisme : bien comprise car elle relève de la connaissance de notre dépendance à l’égard d’espèces aussi humbles que le lombric et l’abeille à la disparition desquels nous ne saurions survivre. Quoi qu’en disent certains, l’antispécisme relève d’une plus grande intelligence des enjeux humains que bien des spéculations ‘humanistes’.

La question du rapport de l’exploitant agricole à la nature est tout particulièrement évident dans le cas de l’élevage. Les images bucoliques d’élevages spacieux et aérés, où les poules se couchent avec le soleil et les cochons paressent dans leur bauge, où les vaches sont traites par de vigoureuses mains bienfaitrices avant de gambader dans les champs, etc. tout cela est un imagier mensonger qui cache les pires crimes et les plus grands intérêts. Si l’on ne craignait pas de faire s’étouffer de bienpensance les cagots de l’offuscation, on ferait le parallèle avec un Kadhafi ami de son peuple et de la démocratie : les pires crimes et de grands intérêts… Mais certains ont osé des comparaisons plus dérangeantes : « Auschwitz commence quand quelqu’un regarde un abattoir et pense : ce ne sont que des animaux » (Théodor Adorno). Il faudra quand même qu’un jour tous ceux qui disent aimer les animaux, ne serait-ce que leur animal domestique, aient l’honnêteté de se demander si les conditions dans lesquelles vivent et meurent ceux qu’ils ont choisi de manger leur semblent acceptables. Parce que du point de vue sanitaire la réponse est évidemment négative : les animaux élevés à la mode industrielle [1] sont nuisibles à la santé humaine : « salmonellose dans les œufs de batteries, vache folle au prion, poulets à la dioxine, viande de porc aux nitrates et aux nitrites se transformant dans notre corps en nitrosamines hautement cancérogènes, charcuteries à la listériose, cancer du pancréas par les viandes grillées, cancer du colon proximal et distal dus aux viandes rouges et transformées, cancer du sein ».
Quelle entreprise de démolition d’une filière qui recèle tant d’emplois (et un taux de suicide élevé) est-ce là ? Une filière qui utilise 50% des antibiotiques produits en France dans ses élevages. Qui procède ainsi pour élever des cochons :

« Bon an, mal an, l’Union européenne produit plus de 200 millions de porcs. 90% de ceux-ci subissent le triste sort de la détention à vie, confinés dans un espace de 0.66 mètre pour un animal de 100 kilogrammes, traitement réservé à un saucisson vivant, rien de plus. Après son insémination, la truie est placée pour trois mois dans une stalle individuelle en pleine obscurité, où elle est détenue sanglée, sans pouvoir ni se lever, ni se coucher, afin de permettre des économies de nourriture. Peu avant la naissance de ses porcelets, elle est placée en immobilisation forcée dans une cage de mise bas, où ses petits pourront téter à loisir. Les instincts maternels de la mère sont déniés, elle ne peut pas confectionner un nid pour la mise bas, ni approcher ses petits. Entre les administrations d’anxiolytiques et d’antibiotiques, mordre les barreaux reste sa seule compensation pour survivre à ce stress. Les porcelets ont la queue et les dents coupés sans anesthésie, les mâles sont castrés à vif. Ils sont sevrés précocement afin que la truie recommence sans plus attendre un nouveau cycle. Ils sont ensuite placés dans l’obscurité sur un sol en claire-voie (déformations, nécroses des pattes) pour être engraissés d’aliments composés de céréales, de farines animales et d’antibiotiques, un cocktail d’accélérateurs de croissance. Pour augmenter les portées et stabiliser les cycles de fécondité, les femelles sont traitées aux hormones et aux stéroïdes. L’odyssée du transport vers l’abattoir a généralement lieu de nuit et les porcs ne verront jamais la lumière du jour. Incapables de se mouvoir, certaines truies sont treuillées dans le camion. Leur chair meurtrie n’est déjà plus que rillettes ou saucisson. »

Ou encore ainsi pour ses volailles :

« Plus de 90% des poules pondeuses sont soumises à un élevage intensif (…) entassées dans des hangars sans fenêtres, pouvant contenir de 10 000 à 70 000 individus. Les poules sont incarcérées dans des séries de cages superposées dont chacune contient 4 à 5 sujets. Chaque poule ne dispose pas de plus de 550 centimètres carrés, c’est-à-dire l’équivalent d’une feuille de papier A4. (…) Comme la chair du poulet industriel est d’une croissance disproportionnée par rapport à son cœur et à ses poumons, beaucoup d’oiseaux développent donc des problèmes cardiaques et un douloureux gonflement de l’abdomen. (…) Quand les animaux fourbus se couchent, le contact prolongé avec des litières pleines de déjections ammoniaquées occasionne des brûlures et des ulcères aux doigts et aux pattes, et des ampoules à la poitrine, souvent visibles au travers du conditionnement ‘prêt à cuire’. Les muscles du poulet grossissent aussi en disproportion avec le squelette. Résultat, la plupart ne peuvent plus marcher. Après avoir pondu 300 œufs en 400 jours, la chair infecte de ces vieilles poules exténuées finit dans une soupe en sachet ou dans de la nourriture pour chats et chiens. »

Je vous fais grâce des conditions d’élevage des bovins, des gavages d’oies et canards cirrhosés [2]… De telles conditions d’élevage sont non seulement ignobles, mais la nourriture humaine ainsi produite est nuisible à la santé (surtout à celle de ceux qui meurent de faim [3]) et à l’environnement. Le méthane produit par les élevages est responsable de 20% de l’effet de serre, les épandages divers de la pollution des eaux, la déforestation massive est directement liée à la volonté de créer de nouveaux pâturages. Et l’on voudrait faire croire que les éleveurs qui procèdent ainsi à longueur d’année ne sont pas responsables ? Et ceux qui leur demandent de le faire non plus ?
Alors qu’un Français mange trois fois plus de viande qu’il y a un demi-siècle et qu’à titre d’exemple il faut 7 kilos de céréales et 10 000 litres d’eau douce pour produire un kilo de bœuf, un excellent moyen de réduire (dans l’ordre que vous préférez) : la souffrance animale – les risques sanitaires – l’effet de serre – la déforestation – la malnutrition – les pollutions des eaux, est de commencer dès cette semaine à manger un peu moins, beaucoup moins ou plus du tout de chair animale [4]. Il est vrai que l’on peut aussi revendiquer, à l’instar de G.W. Bush son American Way of Life, le ‘bien-vivre’ à la française, comme on peut choisir d’oublier que les palais ont tous été construits sur l’exploitation des plus faibles, ou avancer des arguments fatalistes, après-moi-le-délugiste (sic), ou absurdes. Ils ne manquent jamais d’arriver, souvent hélas en y prostituant le nom de liberté !
Dans son livre, Michel Tarrier met en valeur, comme il l’a fait dans certains de ses précédents ouvrages, les peuples dits premiers et qu’il préfère nommer ‘racines’, par opposition à ce qu’est devenue l’agriculture moderne. Ce n’est certes pas pour prôner un retour à la chasse et à la cueillette, mais pour faire éprouver à quel point notre fourvoiement est ancré et ancien : la parcimonie, la conscience de la finitude des ressources et des interactions naturelles, etc., il nous faut les redécouvrir – et nous les redécouvrons de force comme un horizon indépassable. C’est aussi l’occasion de montrer que la première Révolution verte – alors qu’on nous vante la Seconde à coup d’OGM [5] – fut funeste à bien des égards :

« La Révolution verte, terme désignant le bond technologique réalisé en agriculture au cours de la période 1944-1970, fut une politique de mutation agricole quasi irréversible des pays en développement conjointement aux pays les moins avancés, fondée sur des imprudences en série que sont : l’intensification et l’utilisation de variétés à hauts potentiels de rendement, notamment de céréales (blé et riz), le recours aux intrants (engrais pétrochimiques et produits phytosanitaires), l’adoption d’un remembrement structurel des terres et une mise en œuvre de l’irrigation. »

Les conséquences en sont une atteinte à l’intégrité des sols et des eaux, une modification dégénérescente des plants, un massacre de la biodiversité quantitative mais surtout qualitative (déclin des espèces) et une perte irréversible des savoir-faire historiques. Quant à la vertu de l’agriculture chimique d’avoir évité des famines catastrophiques, il semble avéré désormais que l’agriculture naturelle pourrait nourrir tous les humains [6]. La liste des catastrophes causées par le mode monocultural intensif est peu flatteuse : destruction des paysages, épidémie du mildiou de la pomme de terre, du phylloxéra et de l’oïdium de la vigne, le terrible Dust Bowl nord-américain [7] (en attendant ceux d’Afrique et d’Asie), etc. L’appauvrissement et la destruction des sols supposés nourrir l’humanité est une catastrophe (« de 1956 à 1996, un tiers des sols arables du globe, soit 1.5 milliard d’hectares, ont dû être délaissés en raison de leur irréversible aridification ») dont la mesure n’est pas prise, sinon un changement radical serait engagé, à moins que des intérêts puissants ne veillent.
En effet, derrière le productivisme et les rendements de l’agriculture intensive que Tarrier incrimine dans son ouvrage, ce sont les grands groupes de la pétrochimie – pour les intrants –, ceux de la phytopharmacie – pour les pesticides –, ainsi que les banques agricoles aidées par les agronomes qui tirent les ficelles. Tout cela représente de formidables enjeux économiques. La « dramatique mutation du cultivateur responsable en exploitant agroterroriste (voir vidéo) » a touché toute la profession et, parmi les agriculteurs, « la plupart avec d’évidentes circonstances atténuantes qui font que tous les responsables ne sont pas tout aussi coupables, appâtés par le gain et un soulagement de la pénibilité du travail, c’est toute la société agricole qui se précipita dans le piège tendu, et qui s’y précipite encore fébrilement ». Pour un agronome comme Claude Bourguignon, pour qui il importe de connaître le milieu pour savoir quoi y cultiver, combien d’agronomes formatés par des écoles qui font de l’agronomie « une science d’optimisation des intrants industriels » ?
Le problème également pointé est la destruction de biens communs au nom de l’ignorance, de l’inconséquence ou de l’appât du gain : à force de pesticides, les populations d’abeilles s’effondrent ; à force d’intrants chimiques dans les sols et d’engins agricoles qui tassent un sol où ne survit que difficilement la faunule et d’abord les lombrics [8], les sols se fragilisent et deviennent incultes ; à force de gaspillage d’une eau communautaire les nappes phréatiques s’épuisent.
La notion de « pesticide » ou « tueur de fléaux » est contestable puisque ancrée dans une vison anthropocentriste de la nature qui ne tient nullement compte des équilibres subtils, complexes que sont ceux des interdépendances. Qu’à cela ne tienne, depuis 50 ans c’est en agriculture la mode POP, pour Polluants Organiques Persistants [9] ! Persistants et très solubles dans les graisses où ils s’accumulent au long de la chaîne alimentaire. Qu’importe ! les pesticides sont présents partout, et notamment dans les fruits et légumes (les cerisiers supportent ainsi entre 10 et 40 traitements annuels) ; ils tuent ceux qui les utilisent et qui, dès 1972, le dénoncent publiquement à la télévision : « J’ai autrefois craché le sang à la suite de traitements chimiques avec lesquels j’empoisonnais moi-même les autres… Tout le monde sait que les produits chimiques sont cancérigènes », avouait un agriculteur du Gers au journal télévisé de Philippe Gildas. Et pourtant, aucune remise en question de ce mode cultural dans le monde agricole ; les pesticides représentent bien, comme le dit Tarrier, ‘le salaire de la peur’… Le monde agricole se serait-il résigné à détenir la palme des cancers cutanés, des hémopathies malignes, des sarcomes des tissus mous, des cancers de la prostate, des testicules, de l’ovaire, de l’estomac et des tumeurs cérébrales ? Sûrement pas, en revanche, on peut suspecter une formidable pression des multinationales de la phytopharmacie, des semences et de l’agroalimentaire (qui se trouvent être les mêmes à peu de choses près) d’entretenir soigneusement le piège ouvert dans les années 50 et de discréditer toute tentative de cultiver autrement. Aussi ce monde paysan est-il son propre fossoyeur lorsqu’il répand cette chimie ruineuse de santé mais très rentable pour ceux qui la vendent.(voir vidéo)
Mais on se doute bien qu’il n’est que le premier maillon de la chaîne, si bien que, selon le trait d’humour de Pierre Rabhi rapporté par Michel Tarrier : « Quand on se met à table, plutôt que de se souhaiter bon appétit, il faut désormais se souhaiter bonne chance ! » Humour noir, pas loin d’être désespéré lorsqu’on s’avise que les enfants, avant même que de naître, sont déjà infus de pesticides, puis que tout au long de leur vie, ils vivent dans une société où les gouvernants autorisent les pesticides et les OGM mais refusent aux jardiniers l’usage de la bouillie d’orties, où l’incitation à consommer 5 fruits et légumes par jour contribue à développer des cancers à la place de maladies cardiovasculaires, où la viande est bourrée d’antibiotiques, ce qui entraînera des problèmes face aux maladies nosocomiales, des animaux herbivores au menu et qui pourraient à nouveau être nourris par des farines animales et, si ce citoyen ou cette citoyenne souhaite s’informer et échapper à la marée chimique qui l’assaille, il/elle aura toutes les peines du monde à le faire, tant la traçabilité est habilement restreinte et le bio pas souvent très bio !
D’ailleurs, par quelle inversion des valeurs – demande Michel Tarrier – l’agriculture chimique et toxique est-elle considérée comme l’agriculture ‘normale’ et l’agriculture biologique, donc naturelle et saine, est-elle présentée comme quelque chose de rare, si ce n’est selon un système élitiste et antidémocratique ? On se trouve là dans la novlangue imposée par le capitalisme libéral à travers ses multinationales. Même si je ne partage pas son pessimisme à l’endroit de l’agriculture biologique (ou plutôt des agricultures biologiques), force est de constater qu’elle est souvent dévoyée et que se pose à elle un triste problème : comment cultiver bio dans des sols pollués « d’un cocktail de 100 000 molécules irréversiblement ‘perdues et irrattrapables’ ? »
En amont de l’agroalimentaire se trouvent :

A – les fabricants de semences, de matériel agricole et d’intrants
B – les agriculteurs, éleveurs, producteurs de ce qui sera transformé
C – les secteurs chargés du conditionnement, de la débactérisation et de la transformation

Ce qui se joue dans l’agroalimentaire est loin de ne concerner que l’agriculture, que l’on peut considérer comme une otage, car l’industrie de la chimie (dont la pétrochimie pour les intrants) y est particulièrement forte. Le lobbyisme auprès des pouvoirs publics est, on le sait, très vigoureux. Force est de constater que leur attitude est toujours favorable aux groupes financiers au détriment de la légitimité citoyenne. Pour Tarrier, on peut parler de Cosa Nostra de l’agrobusiness :

« Nous avons affaire à un ordre clanique, sans pitié, sans empathie, avec un raisonnement à sens unique. Peu importent les dégâts collatéraux, d’ordres écologiques ou humains, du moment où l’agriculture violente et militarisée peut poursuivre sa route sans aucun remords. La mission est exemplaire : ils nourrissent le monde ! A cette proclamation péremptoire et définitive, il n’y a rien à opposer, rien à répondre. Il faut se soumettre, ne pas déplorer la mort biologique des sols, le recul des autres espèces, la cohorte des pollutions irréversibles et lécher son cancer en silence. »

En dépit des avertissements déjà anciens, on comprend bien qu’un argument massue de l’agrobusiness est l’accroissement très rapide de la population mondiale. Même si – on a juste effleuré la question quant au modèle de substitution – l’agriculture chimique, industrielle et intensive est tout à fait incapable de nourrir la planète, elle maintient cette illusion par tous les moyens et elle a un intérêt objectif à ce que les programmes de limitation des naissances échouent. CQFD. C’est absurde et criminel, et alors ?

A la fin de la lecture de ce livre globalement pessimiste mais dont l’existence même prouve le relatif optimisme de l’auteur, et pour conclure ce compte rendu qui laisse immergée la masse immense des faits – je ferai deux réflexions. D’abord, que l’ignorance et la méconnaissance auxquelles remédie une information maîtrisée et digérée sont les meilleurs agents du statu quo, donc de la perpétuation du crime. Une information libre et indépendante est indispensable : L’agroterrorisme dans nos assiettes est de cette nature. Ensuite, qu’il ne s’agit pas seulement de s’informer, mais d’agir : remettre en question ces habitudes que nous avons souvent héritées sans les jauger ; être un-e citoyen-ne exigeant-e ; tenter de convaincre avec patience en dépit de l’urgence de la situation. Rien que de très banal, sauf que c’est de nature à changer la donne… Et nous avons une obligation de résultat :

« Qu’en est-il de notre savoir s’il reste sans conséquence ? A l’heure de quitter ce monde, il ne s’agira d’avoir été bon ; cela ne suffit pas. Il s’agira de quitter un monde bon. » (Berthold Brecht, Sainte-Jeanne des abattoirs) [10]

Pot pourri en forme de pense-bête

Annexes

En comparant les deux cartes suivantes, la première de la pollution des eaux aux pesticides, et l’autre de la production en agriculture biologique, on peut en effet rester perplexe quant à la qualité des sols et des arrosages :


Témoignage d’un agriculteur qui avoue ne pas manger ce qu’il produit :

Et témoignage de l’autre agriculteur, Denis Camuset, victime d’un cancer provoqué par les pesticides :

P.-S.

Notes

[1C’est-à-dire plus de 80% des animaux de France.

[2Foie gras que François Hollande (le 28/7/12) vient de porter au pinacle en osant affirmer que « le confort animal » y est respecté ! Les écologistes apprécieront, enfin, les amis des animaux, parce que les mouvements écologistes prennent rarement leur défense…

[3Rappelons que 90% du soja produit dans le monde est destiné à nourrir les animaux d’élevage (53 milliards de volailles, cochons, lapins, vaches, etc., par an) ; si toutes les céréales distribuées au bétail américain étaient utilisées directement, 800 millions de personnes auraient de quoi manger !

[4Il y aurait entre 2 et 5% de végétariens en France, un peu plus en Allemagne et en Italie, près de 8% au USA et 40% en Inde. Sur un demi-hectare de terre cultivable, on peut produire, nous dit Michel Tarrier, soit 70 kg de bœuf, soit 10 000 kg de pommes de terre.

[5Le valeureux Koffi Annan entend lancer avec l’AGRA (Alliance pour une Révolution verte en Afrique) à coup de chimères génétiques résistantes aux intrants chimiques un mouvement vers l’autosuffisance alimentaire de l’Afrique…

[6Affirmation récente d’Olivier de Schutter, le rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation.

[7Désertification notamment documentée par John Steinbeck dans Les raisins de la colère (1939 – film de John Ford, 1940).

[8De deux tonnes de lombrics par hectare dans les années 60, il n’en resterait plus aujourd’hui que 100 kilos.

[9Citons le DDT, le lindane, le carbaryl (cf. Bhopal), etc.

[10Citation finale du livre de Michel Tarrier que je reprends bien volontiers ici.

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