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Être Gens (Justice pour tous) 

vendredi 16 janvier 2015, par Philippe Marlière

Cette année en 2015, le lendemain de la dernière tuerie des attentats de Paris des 7 et 9 janvier, le cinéaste italien Francesco Rosi, dont le cinéma magistral confronta le public aux plus grandes affaires politiques criminelles de l’Italie de l’après-guerre, s’éteignait chez lui, à Rome, à l’âge de quatre vingt douze ans. Le 11 janvier, le Corriere della Sera publiait un faire-part nécrologique mentionnant la dernière consigne engagée du cinéaste en vue de ses obsèques : « Pas de fleurs mais la solidarité pour les immigrants. » [1]. Le même jour, en France, les gens se rassemblaient pour démontrer leur force citoyenne sous l’égide d’un ubique mot d’ordre, tant sorti de Charles M. Schulz que de Roald Dahl advenu en film de Tim Burton plutôt que de Charlie-Hebdo, une référence pour chaque âge international pourvu de n’avoir pas trop grandi, en signe de deuil pour les assassinés de la laïcité et de la liberté d’expression publique sur les tabous religieux : ils répondaient à l’appel à l’unité nationale par le gouvernement au nom de la défense de la liberté d’expression. Quitte à rendre forcloses d’autres libertés d’expression pourtant communes à tous dont relatives à la vie privée. Ensuite, l’énoncé sous la forme d’aphorismes pour et contre de Philippe Marlière – dont La RdR a déjà publié des textes, – a paru dans son blog Mediapart, le 12 janvier. Avec une raillerie de l’expression d’opinion il y présente à la fois une recension et une critique, a contrario des points surgis dans la prose républicaine à laquelle donna lieu l’attentat contre les caricatures de Mahomet, tous partis inclus, suggérant quelques idées de changement pour une vie citoyenne meilleure, au grand dam des lectures traditionnelles du code social national. (A. G-C.)



Je suis contre la peine de mort et la barbarie. Mes pensées attristées et bouleversées vont aux conjoint(e)s, enfants et parents des 17 personnes assassinées à Paris.

Je suis contre le délit d’opinion. Toute opinion qui ne porte pas atteinte à la dignité humaine doit pouvoir être exprimée. Cela ne signifie pas qu’il est fondamentalement pertinent de se moquer, d’insulter ou d’humilier des individus en raison de leurs croyances (notamment religieuses).

Je suis contre les amalgames, les responsabilités et les punitions collectives.

Je suis contre les explications hâtives et émotives pour expliquer des événements complexes qui entrecroisent des choix personnels et des facteurs structurels.

Je suis contre le racisme, l’islamophobie et l’antisémitisme.

Je suis contre le sexisme et la misogynie.

Je suis contre les intégrismes de tout poil : religieux, politiques et économiques.

Je suis contre l’anticléricalisme d’État et l’athéisme militant (puisque je suis contre les intégrismes de tout poil).

Je suis contre le nationalisme (côté rive droite et côté rive gauche), l’impérialisme, le colonialisme, la poursuite de relations commerciales de la France avec les États qui agressent et colonisent leur voisin (tel Israël) ou qui aident financièrement les djihadistes (tel le Qatar, ou l’Arabie Saoudite).

Je suis contre la ségrégation sociale et ethnique.

Je suis contre les fauteurs de guerre : le capitalisme, en premier lieu, puisque les guerres capitalistes ont tué plus d’individus que toutes les guerres de religion rassemblées.

Je suis contre l’« unité nationale », notion ambigüe et synonyme de confiscation de la liberté d’expression du peuple et annonciatrice d’atteintes aux libertés publiques. Dans les mois à venir, il faudra veiller à ce qu’un Patriot Act à la française ne vienne pas installer un climat de guerre, ce qui réjouirait tous les ennemis de la liberté.

Je suis pour le droit au blasphème, même s’il s’agit d’un droit théorique dans le cadre d’une république laïque (certes en Alsace et en Moselle, le délit de blasphème existe toujours en vertu de l’article 266 du Code pénal local). Le délit de blasphème ne peut en effet exister, en tant que provision juridique et politique, que dans le cadre d’un régime théocratique.

Je suis pour une laïcité conçue comme un principe de non-domination des religions minoritaires [2] ; une laïcité fidèle au principe de neutralité énoncé par la loi de 1905 : respect des croyances de chacun, dans le cadre de la loi, ce qui favorisera l’émergence d’une identité française plurielle, inclusive et fraternelle.

Je suis pour un humour émancipateur : auto-ironique, tendre avec les opprimés et impitoyable avec les puissants.

Je suis pour qu’on fiche la paix aux croyants. Les croyants sont des individus comme les autres, ni supérieurs, ni inférieurs aux athées ou aux agnostiques.

Je suis pour qu’on laisse les individus vivre leur vie comme ils l’entendent. Que l’État, les organisations politiques et religieuses cessent de donner des conseils vestimentaires aux femmes. Qu’ils les laissent porter librement des jupes (courtes ou longues), des pantalons et des hijabs à l’école, au bureau, dans la rue et à la maison, et qu’ils cessent de contester des choix librement consentis ou de les contraindre.

Je suis pour la République sociale, celle des égaux et de la solidarité. Je suis lassé d’entendre les élites politiques se réclamer constamment des valeurs de la république et décliner un catéchisme de rappels à l’ordre principes. Cette république dévoyée – qui est dominante en France – n’est qu’un discours creux et trompeur car il ne s’accompagne d’aucune mesure véritablement émancipatrice pour les populations socialement et culturellement dominées.

Je suis pour qu’on décrive la France actuelle telle qu’elle est : celle-ci est multiculturelle, multilingue et multiethnique. Qu’on cesse de prétendre que nous sommes encore sous la 3e République.

Je suis pour qu’on célèbre le melting pot français, source de dynamisme social, culturel et économique.

Je suis pour l’internationalisme et la fraternité entre les peuples.

Je suis pour la tolérance et le respect des différences car les peuples qui méprisent ces valeurs ne peuvent construire un destin commun. L’ignorance et la crainte de l’autre sont des facteurs de tension et de désunion chronique, ce qui conforte invariablement les démagogues et les extrémistes.

Je suis pour un monde d’égales et d’égaux : je revendique donc la justice pour toutes et tous.


Avec l’aimable autorisation de l’auteur
© Philippe Marlière

Twitter : @PhMarliere

P.-S.

Source : Son Blog Mediapart.

Notes

[1Coupure de presse, document envoyé par le journal social pour la jeunesse italienne YOUng sur sa page facebook.

[2Philippe Marlière, « La laïcité, un principe de non-domination », Mediapart, 30 octobre 2013.

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