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Des poèmes d’André Laude 

mercredi 28 mai 2014, par André Laude (1936-1995) (Date de rédaction antérieure : 1995).

André Laude : Famille ouvrière. Exilé à Paris, renouera plus tard avec la terre-mère : l’Occitanie. École sous l’occupation nazie. Premières masturbations et premières révoltes. Très tôt écrit et rêve de devenir journaliste. Fait la connaissance d’une bande de poètes et peintres anticonformistes. Militant anarchiste. Autodidacte, lance à 17 ans le cri fameux : "A nous deux Paris". Réponse de l’écho : "Pauvre con". Apprend difficilement à bien faire l’amour. Rencontre André Breton, Benjamin Péret et quelques autres "phares". Guerre d’Algérie : horreur et souffrance. Des tas de petits métiers. Quitte l’Europe pendant plusieurs années. Voyages : Cuba, Orient, Asie... Revient en Europe. Ecrit dans cent journaux et magazines. Publie des recueils de poèmes. Pauvreté, humiliation. Laisse pousser sa barbe pour cacher les cicatrices. Un seul désir : vivre et jouir sans entraves en cherchant à faire la peau du vieil homme".

Ainsi se résumait André Laude en quatrième de couverture de Joyeuse Apocalypse, publié par Stock en 1973. Le poète est mort dans la misère d’une petite chambre le 26 juin 1995. Le journal Le Monde, auquel il avait collaboré durant des années comme chroniqueur littéraire, s’est souvenu de son existence et lui a consenti une notice nécrologique, le 28 juin. Parmi une oeuvre vaste et dispersée citons Couleur végétale, Dans ces ruines campent l’homme blanc, le Testament de Ravachol, Rue des Merguez... Dans les poèmes qui suivent, fragments d’un recueil en préparation et à jamais inachevé, résonne étrangement la voix posthume du poète anarchiste.

Michel Pérelle écrivait : "Ce qui nous réjouit chez André Laude, c’est la fraîcheur, la spontanéité et son envoûtante petite musique. Il est sincère au-delà des mots, il ne s’embarrasse pas de vers mesurés, il dit tout, comme ça, à cru, et ça vibre, ça nous émeut.
Voudrait-il écrire un méchant poème qu’il ne le pourrait pas. André est pauvre, malade, mais il n’est jamais amer. Il a l’orgueil des grands : la grâce.
Ne nous y trompons pas, il sait tirer à boulets rouges (et noirs) sur la saloperie des hommes.
Il est du Sud (Occitanie) mais il est né et vit à Paris, et il a hérité de la "douleur polonaise". Il sait, dans le Grand Nord, apprivoiser la ronde des loups, et, au Mexique, faire chanter les veuves noires.
D’aucuns diront qu’il y a quelque naïveté à écrire, par exemple des journaux de voyages.
D’aucuns diront qu’au fond de son désespoir, il est furieusement optimiste comme les grands révoltés. Qu’il sait que l’Humanité renaîtra de ses cendres."

(Robin Hunzinger a choisi de vous faire redécouvrir les poèmes, que nous avons publiés en 1995 dans la revue "Points de fuite", de cet auteur de génie, né le 3 mars 1936 et mort le 24 juin 1995.).

*

Je m'appelle personne, André Laude

Je m’appelle personne

Je me hais et je veux mourir. Je me hais

et je veux mourir.

Fermez les yeux. Songez une dernière fois

à mon profil de poète grec,

dans la plus pouilleuse île.

Je serai, à partir de ce jour, ciel, ciel et ciel.

Ciel au-delà de vos folies meurtrières.

Je serai ciel. Je serai éternel.

*
Entre et sang, André Laude

Encre et sang

Je fais de ma vie de nuit en nuit un tas d’ordures.

Je fais de ma vie une brumeuse chronique.

Je fais de ma nuit le carrefour des fantômes.

Je fais de mon sang un long fleuve

qui tape à mes tempes.

Je fais de ma peur un oiseau noir et blanc

Je fais d’un oiseau mort, pourri,

l’enfant que j’aurais pu être.

Je fais d’un enfant un feu fou, un bloc de cendres.

Je fais de ma mort à venir un festin de serpents.

Je fais d’un serpent la corde pour me pendre.

Je fais d’un long, acharné silence le testament

de tout ce qui fut désastres, horreurs, ennuis,

ruptures et interminables hurlements.

Je pisse de l’encre et du sang.

Je pisse de l’encre et du sang.

Je chante sur le bûcher des châtiments.

*

Le ver dans le fruit

Je longe le long sillon qui conduit aux morts muets.

Je songe à la neige, aux chevaux de feu,

à l’hiver des paroles.

Je vois des bois brûlés, des vaisseaux échoués,

des mouettes prises par le gel.

Je longe le fleuve de sang et de larmes

qui traverse les inquiétantes ruines.

Je sens l’odeur des prédateurs, l’urine

de la hyène, la matière fécale des jeunes bébés.

J’écris à partir d’un noyau de nuit.

J’écris à partir d’une tranchée noyée de boue.

J’écris corde au cou.

La trappe déjà tremble sous mes pieds.

Je longe le marbre froid qui donne le frisson

et chante une très étrange et vieille chanson,

qui dit qu’aujourd’hui et pour toujours

le ver est dans le fruit.

*
Enfer vert, André Laude

Enfer vert

Dans l’enfer vert j’ai bâti une maison

de prières et de clameurs.

La nuit j’entends d’étranges sons.

Sont-ils des Séraphins,

des sombres démons d’avant Colomb.

Dans l’enfer vert je traîne ma vieille carcasse.

Je joue au poker. J’ai toujours trois as.

Je fume des cigares de Cuba

et je bois des alcools de fièvre.

J’écrase de grosses mouches

suceuses de sang sur mes lèvres.

J’ai bâti une maison d’air et d’ouragan.

J’ai préparé le lit nuptial pour la femme des femmes.

Le revolver est là, posé sur la table de bois sauvage.

Sous une lune froide j’attends crime et châtiment.

*

Corrida, André Laude

Corrida

J’adhère à ma mort comme l’astre au ciel.

La vie cruelle

a tué en moi beaucoup d’or

et d’enfants qui ont pleuré au bord des lèvres.

Le temps est venu

de remettre les pendules à l’heure.

Adieu heure d’été, Adieu heure d’hiver

c’est maintenant l’heure de l’exil blanc et des remords.

Déjà je m’enfonce en terre

chandelle éteinte.

En bon et fougueux matador

j’esquisse une feinte.

A quoi sert de défier cape rouge et cape noire.

La poésie est simple comme bonsoir

au milieu d’une arène de sable et de sang. Décapité.

*

Cercle Rouge, André Laude

Cercle rouge

Combien de taureaux cruels dans les faubourgs de l’amour.

Combien de taureaux dans les ruelles de l’errance

où je cherche Marie-Juana au visage d’enfance abîmé

par les matelots de Sydney, Vancouver et Brest-Recouvrance.

Combien de taureaux fous derrière mon front de rêveur.

Combien de vers dans la sombre tombe où repose mon ami.

Combien de clous enfoncés dans ce cercle rouge mon coeur.

Combien de prophètes et de sourciers au bout des déserts.

Je cherche Marie-Juana une femme sans âge,

elle est sorcière du monde des légendes des pays verts.

Elle est l’hostie sur mes lèvres

et la lampe à huile au fond de mes yeux.

Combien de taureaux aveugles et combien de feux

et combien de morts dans des guerres pour d’obscures îles.

*

En traversant le pays des morts

En traversant le pays des morts

en route vers Aden les terres d’Arthur Rimbaud.

Je suce mes doigts à cause de la soif

de la malaria, du cancer des os.

Je songe à la Bretagne,

aux femmes aux hautes coiffes.

Je songe aux piroguiers du fleuve Zaïre.

Je songe aux oiseaux bariolés d’Amazonie.

Je songe au sexe chaud de l’indienne

à la tombée de la nuit.

Je songe à une espèce de poème

déclamé par un fou de génie

qui ferait taire les perroquets verts.

P.-S.

Le poème qui suit nous a été gracieusement communiqué en juin 2003 par Eric B., qui témoigne : "Aprés lui avoir consacré une soirée exclusive en 1989, l’association Poésimage (disparue depuis) avait organisé une biennale d’art contemporain en 1993. Chargé du mur de poèmes, j’ai retrouvé dans mes ’cartons’ cet inédit d’André Laude. A l’époque, de chacune de ses poches, sortaient des petits tire-bouchons de papiers sur lesquels s’inscrivaient au fil des jours cette poésie couleur d’homme."

D’après un film retrouvé de Luis Buñuel

Vieux cow-boy
dans canyon délabré

En dessous des aigles livides
le squelette des
chercheurs d’or

Vieux cow-boy
rescapé de toutes les guerres
indiennes

Marié jadis à
Chihuahua
fille de Pancho Villa

De la poussière aux yeux
et ongles des mendiants
chicanos

Du bleu du ciel d’Oaxaca
dans le sommeil
des soldats

qu’attendent des munitions
pour attaquer le train
du Président gringo

Vieux cow-boy
aux cent cicatrices
qui hier encore
tuait au nom du Père
et du Fils

Vieux cow-boy mort
à l’est du Rio
qui rêve comme Fenimore
Cooper
d’une carabine sans
crosse ni canon

André Laude, 22 mai 1993

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