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Biblionomadie et Voltaire 

lundi 24 novembre 2008, par Eric Poindron

J’ouvre les livres pour apprendre, je les referme pour vivre.

André Suares

VOLTAIRE, ES-TU LA ?...

par Eric Poindron

Il faut, en mourant, laisser des marques d’amitiés à ses amis, le repentir à ses ennemis, et sa réputation entre les mains du public. Adieu.

Voltaire, Correspondance, lettres à Monsieur le comte d’Argental.

Voltaire par Houdon

Il existe des livres fort étranges. Nous savons qu’ils ont existé, mais ils sont - presque - introuvables et les bibliophiles les recherchent souvent en vain. Il en est parfois de même avec certains écrivains, et leurs disparitions peut alors prendre l’allure d’une légende. Jean-Marie Arouet, dit Voltaire, qui fut écrivain et poète, homme de théatre ou de science, philosophe, épistolier absolu et une fois pour toute « homme-livre » peut s’enorgueillir d’avoir fait couler de cette encre mélangée de légende ; une encre sympathique...

À la manière d’un conte.

La commune de Romilly, dans l’Aube, qui s’est appelée un temps Romilly-Voltaire, peut s’enorgueillir d’accueillir sur son territoire le site de Sellières - ou Scellières, c’est selon - qui a abrité les restes de Voltaire. Durant treize ans - entre sa mort, le 30 mai 1778 et le déplacement de ses cendres au panthéon, le 8 mai 1791 - l’auteur de Candide ou du Dictionnaire philosophique y reposa et fut l’objet de toutes les conjectures. La presque « terre sainte », située dans le parc d’un château classé à l’inventaire des Monuments historiques demeure un lieu de recueillement et de méditation pour les esprits voltairiens. Les curieux, les promeneurs, les amateurs de lettres qui viennent encore découvrir le château, les lieux qui abritèrent l’abbaye et sont reçus avec chaleur par les nouveaux propriétaires...

Si Voltaire a déserté les lieux depuis longtemps, il règne encore un mystère que l’on colporte depuis plus de deux siècles : Et si le grand homme n’était pas au Panthéon ? Et si c’était une erreur, une méprise, une dernière farce du philosophe ? Et si c’était un moine qui avait pris la place du philosophe, ce qui, en soit, serait assez cocasse quand l’on connaît les relations de désamour que monsieur de Voltaire entretenait avec le clergé !

Voltaire, qui vouait une immense passion au théâtre a peut-être, et malgré lui, mis en scène son aventure vers l’autre monde. L’aventure qui conduisit son cadavre de Paris en Champagne et de Champagne à Paris, bien qu’elle soit un peu macabre, semble tout droit sortie d’un conte... de Voltaire justement.

On brûla les cathares un vendredi 13 mai et c’est un même mois que mourut Voltaire, cet autre « hérétique » au regard de l’Eglise, ce mal-pensant qui « refusait d’être enterré comme un chien », à qui l’abbé de Saint Sulpice refusa une sépulture. Qu’on l’enterre, certes, mais ailleurs. En cette époque de méfiance et de censure, il valait, mieux, en effet, être chien que philosophe. Adrienne Lecouvreur l’admirable (*), actrice magnifique et définitive, avait eu droit à la même absence de sépulture. Molière y échappa de justesse car Louis XIV veillait. Voltaire n’eut pas cette chance et les cimetières de Paris ne voulurent pas accueillir sa dépouille.

Un étrange Voyage

Lorsque Voltaire décède les hommes de science, chirurgien, médecin et pharmacien, commencent à se partager une partie de son cadavre : le cœur ici, le cerveau là (1). Comment est donc constitué un philosophe ? On inspecte en tout sens... Rien d’étonnant à priori. Le cerveau est de belle taille, on peut s’en douter, mais dans l’ensemble un trépassé demeure un trépassé. Une fois les « inspections » terminés, il fallut reconstituer le corps, de sorte à lui rendre une « apparence humaine » et trompeuse aux yeux des curieux afin que celui-ci puisse quitter Paris puisque les morts n’ont pas le droit de voyager.

Une fois les préparatifs terminés, Voltaire, qui de son vivant souhaitait être enterré à Ferney, village dont il était à la fois le seigneur et le bienfaiteur, est embarqué, bandé et sanglé, dans un carrosse tiré pas six chevaux sur la route 19 en direction de la Suisse. Un second carrosse accompagne la dépouille et véhicule d’autres membres de la famille.

Les parents de Voltaire, le comte d’Hornoy - son petit neveu - et l’abbé Mignot, son neveu, prêtre commanditaire d’une petite abbaye près de Romilly sont les responsables du voyage et de la translation. C’est l’abbaye Mignot qui, à Paris, a réussi à tromper le curé de Saint Sulpice, l’archevêque de Paris, le lieutenant de police et enfin, le ministre de la maison du roi, afin de pouvoir emmener son oncle pour un dernier voyage en Champagne. Il sait, en effet, que le corps n’ira pas à Ferney et il a une idée. Il compte mener la dépouille de son oncle à l’abbaye de Sellières, sur la commune de Romilly, convaincu de persuader le prieur d’accepter le défunt.

À Provins, en lisière de Champagne, le tavernier - monsieur Lévêque ! - de l’hostellerie de la Croix d’or reconnaît Voltaire et lui trouve mauvaise mine. Il lui offre un bouillon que le philosophe s’empresse, sans un mot, de refuser. Les biographes (2) officielles préfèrent croire que c’est l’entourage de voltaire qui commanda ledit bouillon pour mieux tromper l’aubergiste et les curieux de passage qui s’empressent sur les routes de France.

Les populations s’interrogent et il faut les rassurer. Il va très bien,, répondent « en choeur » les voyageurs pressés. Seulement, sur la route et en cette période de printemps, le cadavre se décompose à vive allure et il faut agir vite. Mignot réussi a convaincre le prieur de Sellières et celui-ci, brave homme, accepte Voltaire en son église - dans le caveau - et en son abbaye.

Rapidement, l’évêque de Troyes Fulmine, s’enflamme et sermonne le prieur qui, non sans bienséance forcé et humour juste dosé , envoie l’archevêque « au diable » ! Le prieur est puni et remplacé, mais Voltaire est presque sauvé. Il restera en terre champenoise durant treize ans.

Puis vient l’expédition au Panthéon - alors église Sainte-Geneviève -que l’on connaît. Voltaire est de retour à Paris, devant une foule innombrable qui observe des silences respectueux, en alternance avec Les applaudissements mérités.

Pourtant, en Champagne, un doute subsiste. Est-ce vraiment Voltaire que l’on a renvoyé à Paris. Dans le village, la rumeur s’amplifie. Craignant que l’église n’exhume le cadavre on raconte que la famille du défunt a emmuré Voltaire dans une épaisse paroi de la pays et, qu’à sa place, c’est un moine ou peut-être un jardinier qui repose...

On évoque aussi l’arrivée du cadavre en état de putréfaction et l’emploi de la chaux vive, par mesure d’hygiène, qui aurait à jamais fait disparaître le corps. Il est aussi question de l’intervention d’étranges visiteurs - Franc-maçon ou autres, comme l’était Voltaire - ou des hommes en noir qui, envoyés par Catherine II de Russie aurait de nuit, dérobé le corps....

Ce qui est certain, c’est la découverte des restes d’un corps, en 1927, que le propriétaire des restes de l’abbaye retrouve en effectuant des travaux sous les restes de l’escalier d’honneur. Plusieurs détails intriguent : une matière blanchâtre ressemble a de la chaux. Le squelette, étonnamment, ne porte ni croix ni chapelet, détail étonnant pour un homme enterré dans une abbaye ! Les côtes du squelette sont cassées et on se souvient alors que le cœur de Voltaire avait été retiré. Il est aussi remarqué une ligne sombre - une découpe ? - sur la calotte crânienne. Il n’en fallut pas davantage pour croire à la présence des restes du philosophe. L’abbaye Mignot a peut-être remplacé le corps de Voltaire par un jardinier de sorte À laisser son oncle reposer en paix. La presse locale ou nationale, les almanachs et les feuilles à sensation vont s’emparer de l’affaire quelques temps avant que l’oubli, comme chaque fois, finisse par faire son œuvre...

Voilà la rumeur, toute faite de tradition orale et de fascinant mystère. L’imagination n’a qu’à faire le reste. Très vite, la légende dépasse les frontières de la Champagne puisqu’on peut la lire dans la presse anglaise, et ce avant qu’elle gagne l’Europe toute entière... . Aujourd’hui encore, l’histoire se raconte et la rumeur subsiste.

Etait-ce donc une pièce jouée de l’au-delà et dont le titre eut été Philosphe es-tu là ? Voltaire, qui estimait que le doute est le commencement de la science, nous a peut-être, et d’ironique manière, donné un belle leçon.

Alors, Philosophe, es-tu là ?

A Suivre...

Notes

(*) Native de Champagne elle aussi à Damery, ravissant village sur les bords de Marne.

Quelques livres pour continuer le voyage et entretenir l’émerveillement.

Les curieux et les incrédules qui voudront poursuivre le voyage, avec un peu plus de détail, pourront lire :

Le Secret de Sellières, de Gabriel Groley, un érudit local aubois (imprimerie James Charles, 1961)

Voltaire et l’énigme de Sellières, de Pierre Guillaumot (Association Romilly patrimoine édition

(1) - Pour en apprendre davantage sur les péripéties du cerveau et du cœur de Voltaire, les lecteurs curieux se reporteront à l’admirable ouvrage de Clémentine Portier-Kaltenbach : Histoire d’os et autres illustres abattis (éditions JC lattes). Avec un sens inné du récit et une érudition communicative, l’auteur nous guide dans les cabinets de curiosités de l’Histoire ; la grande ou la petite, la macabre ou l’énigmatique. En plus du philosophe déjà cité, on y croisera en un joyeux « coq-à-l’âne » Descartes, rousseau, Jeanne d’arc, Catherine de Médicis, Louis XIV ou Vivant Denon.

(2) - La Biographie que Jean Orieux a consacré à Voltaire (Flammarion), même si elle ne reprend pas la légende évoquée est une lecture indispensable pour découvrir l’homme protée, l’Européen, le voyageur et l’écrivain.

(2) - Enfin, les perfectionnistes pourront acheter en livre de poche (diable !) Voltaire le conquérant, de Pierre Lepape (éditions Seuil), une biographie sans compromis qui remet voltaire dans son siècle, explorant à la fois la vie de l’écrivain et l’époque charnière des Lumières.

Et puis il reste le livre définitif à écrire sur ce mystère voltaire, et atteindre que le livre disparaissent pour les bibliophiles puissent le rechercher à leur tour...

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