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Les fugitifs de Serge Velay 

mardi 22 septembre 2009, par Régis Poulet

Il est hélas un lieu commun de la banalité médiocratique que toute parole assenée à bon escient, galet poli, galet taillé, se retrouve bientôt submergée par un flysch littéraire, formant ainsi « un empilement de (docu)ments détritiques déposés par un même courant de turbidité », et parfois même les malheureuses gemmes se voient roulées, liées à ces artefacts par un ciment culturel et former un poudingue...

Avec Les fugitifs, Serge Velay nous propose quinze de ces galets polis, autant que deux mains réunies peuvent en porter. Quinze textes brefs sans être lapidaires, quinze échantillons portant chacun son histoire dans les veines.

De la brièveté, l’on connaît à notre époque surtout les aphorismes et les haïkus. Mais en ce domaine comme en d’autres, l’imitation est prolifique. Pour extraire un caillou de valeur des poudingues culturels, il faut son attirail de géologue de terrain : un bon marteau, un tamis – une fiole d’acide n’est pas superflue non plus. Dans sa Maison des marées (2005), Kenneth White dit avoir reçu un visiteur fier d’avoir écrit des milliers de haïkus, sit transit gloria haïkaï... Il faut aussi déballonner l’esprit des ‘première gorgée de bière’ et autres ‘plaisirs minuscules’ ; peut-être pourra-t-on alors saisir la qualité des textes de M. Velay.

Récent auteur d’un Petit dictionnaire des écrivains du Gard (2009) où sont réunis des auteurs porphyre, tuf ou lambourde, des écrivains grenat, escarboucle ou topaze, des originaux bézoard, aérolithe ou girasol, Serge Velay a publié ses poésies fugitives « dont le fond est peu de chose ou (presque) rien » (Bandeau) et que je veux voir comme de modestes pierres ouvertes face au vertige, ouverture dont Francis Ponge vantait la vertu. Certes, l’auteur présente son recueil comme un ‘bouquet d’éphémères’ qui semble peu en rapport avec la durée minérale. Néanmoins, ce bouquet d’éphémères est bien aussi celui des vies humaines (de nombreux textes sont dédiés) face aux « puissances prodigieuses du dehors  » dont la durée géologique est insondable. D’un côté, le galet-méthode de Francis Ponge, de l’autre la closerie de René Char qui recommande de faire de l’art avant que la mort n’en fasse, et enfin le sens de la marche de Kenneth White. A l’instar de ce dernier qui a mis en évidence un ‘monde blanc’ en rapport (in)direct avec son patronyme, permettez-moi d’interroger Velay pour qu’apparaisse le pays mental du poète :

LES RÉGIONS NATURELLES DU VELAY

L’idée généralement évoquée par le Velay est celle des environs du Puy, région volcanique, pittoresque, et nous verrons bien, en effet, que le bassin du Puy est le coeur du Velay ; mais ce n’est qu’un des aspects très varié de ce pays. Pour le géologue, le Velay est avant tout la région volcanique de la Haute-Loire. Mais le Velay historique est bien différent et beaucoup plus étendu. Il apparaît dans l’histoire dès le Ier siècle et dut exister bien avant ; il ne disparaît comme unité politique qu’en 1790, avec la création des départements français. César nous dit que les Vellaves, clients des Arvernes, luttèrent pour l’indépendance gauloise. Nous savons par Strabon que dans la suite ils devinrent libres. Plus tard, on les trouve constitués, d’abord en "civitas", puis, à l’époque carolingienne, en "comitatus" ou "pagus" : ils sont tour à tour tributaires de grandes provinces et indépendants. La période féodale est marquée par la querelle retentissante des vicomtes de Polignac et des évêques du Puy : le roi mit fin à la lutte en faisant l’évêque comte du Velay. Incorporé enfin au domaine royal, le Velay sut garder dans la France unifiée le maximum d’autonomie. Subdivision du Languedoc, non seulement il était représenté aux États de cette province, qui s’administrait elle-même, mais, pour les affaires qui l’intéressaient seul, il était régi par une assemblée annuelle, les États particuliers du Velay. Le petit peuple du Velay a donc gardé, avec son nom, son autonomie historique. "En lui s’exprime une des plus vivaces individualités de la France."(Vidal de la Blache).
 

in Eugène Locussol, Annales de Géographie, année 1908, volume 17, n°92, p. 105

Qu’est-ce à dire ?
Dans ce recueil, Les fugitifs, ainsi que dans Inventaire des pertes et des profits qui le suit, Serge Velay montre qu’il est un digne héritier de Robert Lafont, en cela qu’il est de ceux qui savent dire oc à la vie et non à de certains moments – et ce n’est pas pour rien que les textes de rébellion d’Inventaire sont dédiés à Laurent Margantin. Cette onomastique à l’envers montre aussi que son domaine est plus que gardois : le pays d’Oc représente la moitié de la culture française ; que dans ces phrases françaises s’exprime une liberté au cours ininterrompu depuis mille ans et que l’on verrait bien résurgente comme à Fontaine de Vaucluse tellement les pouvoirs s’efforcent de bétonner l’eau vive et retenir tous les fugitifs  !

P.-S.

Les fugitifs suivi de Inventaire des pertes et des profits, éditions Domens, 2009, 8€.

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