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Conte et apprentissage dans la société gabonaise d’hier et d’aujourd’hui 

lundi 29 janvier 2018, par Ginette Flore Matsanga Mackossot

Partant du constat que plusieurs contes africains abordent les thèmes de la mort et de la résurrection qui sont des éléments fondamentaux de l’initiation dans plusieurs rites sociaux du Gabon, notre choix s’est porté sur un conte punu qui comporte les mêmes caractéristiques. Le parcours initiatique est donc vu ici à la fois comme le reflet de la société et comme mode de transmission des valeurs, de connaissances et des savoirs. Par ailleurs l’évolution de la société et les mutations sociales ont occasionné de nouveaux modes de transmission de ces savoirs. Parmi ceux-ci, on peut citer la radio, la télévision, l’internet. L’étude du processus d’apprentissage à travers le conte nous amène à voir également l’écartèlement de la société gabonaise entre la tradition et la modernité. Elle induit à cet effet, un lien étroit entre les éléments du conte et la société d’aujourd’hui.


L’enjeu de ce travail est de justifier le rapport étroit qui existe entre conte et apprentissage ainsi que les intérêts d’une telle exigence dans une société mondialisée. Au centre de cette relation les effets de la parole et le processus initiatique qui peuvent accompagner le sujet au centre de cette opération énonciative. Il faut en effet dire que la pratique traditionnelle du conte peut jouer un rôle prépondérant dans la formation d’un individu au même titre que le proposent les outils pédagogiques, voire internet. C’est pourquoi il est intéressant de nous questionner sur le comment et le pourquoi cette parole traditionnelle peut aider à intégrer un monde de plus en plus complexe. Le conte est apprentissage et lieu de transmission des savoirs, il doit donc être pris en compte dans la grande offre de formation que nous donne la société.
Nous partirons du modèle du conte punu la panthère et la gazelle pour mettre en évidence l’importance de la parole dans la société traditionnelle gabonaise. Elle s’intéresse à la corrélation entre la mémoire individuelle et la mémoire collective. En d’autres termes, nous voulons montrer comment l’usage de la parole en tenant compte des valeurs et des codes de la société qui la produit, contribue à la formation de l’individu. Aussi, n’est-il pas urgent de se réapproprier cette parole, outil de communication par excellence des sociétés traditionnelles afin de restaurer le tissu social quelque peu perforé et maintenir une cohésion sociale permanente, d’une part. Puis s’adapter aux nouvelles méthodes, modernes, de transmission et de réception des valeurs traditionnelles d’autre part.
Les sociétés de tradition orale conçoivent, de manière générale, l’existence à partir de la parole. Dans le cadre de son éducation, l’enfant dans la communauté punu accède à la connaissance, à la culture et aux savoirs ancestraux par le biais de la parole. Cette parole se présente sous plusieurs formes que constituent les différents genres littéraires oraux, à savoir le proverbe, le conte, le chant, la devinette, etc.
Nous aborderons cette étude dans une perspective ethnolinguistique en nous focalisant sur une démarche thématique. S’il est légitime dans un premier chapitre de parler du conte comme un outil d’apprentissage et de l’éducation gabonaise, il est aussi nécessaire de présenter le texte qui sert de base à notre analyse. Il nous a donc semblé opportun de le transcrire et d’en proposer une traduction. Dans la deuxième articulation de notre étude, il s’agit essentiellement de l’interprétation du conte. Nous mettons un accent sur les différentes épreuves qui marquent le parcours initiatique et nous nous intéressons aux éléments tels que le temps, l’espace, la forêt, l’eau que nous rassemblons sous l’appellation des « ingrédients de l’initiation ».

1. Le conte punu : un outil d’apprentissage et de l’éducation africaine.

« Les contes africains sont un fait de civilisation, le reflet de valeurs idéologiques, un mode d’expression et de pensée, un art et une forme de littérature. L’étude des contes peut permettre de mieux comprendre le monde africain, sa vision de l’univers, de Dieu, de l’homme, des êtres et des choses, de mieux apprécier sa culture et sa littérature ».
Le conte se caractérise par l’exposé pratique d’une idée (la méchanceté, la ruse, l’hospitalité, la bonté, la trahison, l’amour…) à travers des personnages qui agissent en vue de concrétiser cette idée ; mais aussi à travers un thème central dans le but d’éveiller certains sentiments ou une conduite que l’on voudrait valoriser dans la société.
Il est le reflet des activités sociales car il permet de transmettre des connaissances aux plus jeunes, voire à tout le monde puisqu’ il inculque aux Hommes une sagesse pratique, des préceptes de la vie sociale et souligne les mentalités, révèle les croyances et valorise certaines conduites. C’est d’ailleurs ce qui fait dire à Pierre Ndak que : « Le conte africain est étroitement lié à la pratique sociale, toujours en relation avec la société vivante ».
Il est non seulement une école africaine traditionnelle, mais le garant de l’unité du groupe et du respect des institutions tant sociales que religieuses. Il est un facteur de cohésion sociale en ce qu’il règle et établit les hiérarchies sociales. La place essentielle qu’occupe le conte dans la formation de l’« être social » apparaît clairement dans la capacité du conteur à être polyvalent puisqu’il est un artiste complet. Il est en effet à la fois, comédien, poète, chanteur et danseur. D’abord doté d’une grande et bonne mémoire, il doit se souvenir de tous les récits qu’il a lui-même reçus en assistant aux veillées de contes et en se prêtant à l’exercice du contage. Ensuite, pour capter l’attention et favoriser l’écoute de son auditoire, faire rire, il doit faire preuve d’imagination et de grandes qualités humoristiques. L’intelligence et la culture sont d’autres atouts dont dispose le conteur pour mener à bien sa mission qui est celle de distraire, plaire et instruire.
Manifestation de l’oralité, le conte africain est une matière vivante, un mode d’expression, un jeu oral sinon un art de la parole. Grâce à son caractère attrayant et amusant, il constitue l’occasion d’une grande mobilisation dans la société traditionnelle. Moyen privilégié de communication, il est un support pédagogique qui enseigne la maîtrise de la parole, la sagesse populaire, la notion du bien et du mal et permet la créativité personnelle en plaçant l’enfant au cœur de l’acquisition des connaissances.

« Le conte est la meilleure école traditionnelle de formation à l’art de la parole’’ et ‘‘ Ecole de style et de langue, le conte contribue à maintenir le trésor de la langue dans sa pureté ». nous dit Pierre Ndak.
Pour être effectif, le conte nécessite outre un narrateur performant, mais également la présence d’un auditoire actif. C’est en s’identifiant au conteur que cet auditoire nourrit l’ambition de bien s’exprimer, de bien manipuler sa langue maternelle et de se conformer aux règles de la société ; son importance dans la construction du Moi de l’enfant et du « moi social » est donc clairement établie. Le conte apparaît ici comme un modèle de référence parce qu’il impose des normes morales. Amadou Hampâté Ba (2000) le qualifie d’ailleurs de « véritable pédagogie orale » et déclare à ce sujet : « A défaut de livres, notre enseignement se trouve dans les contes, les maximes, les traditions orales. Les contes, parole vivante qui nous vient des ancêtres, sont appelés message d’hier, destiné à demain, transmis à travers aujourd’hui ».
Pour étayer notre réflexion, nous retenons un conte gabonais recueilli auprès de la communauté punu dont la traduction que nous proposons reste proche du texte original, c’est-à-dire qu’elle tient compte du style oral proprement dit. Cependant, nous adoptons une transcription usuelle.

1.1. Présentation du corpus

1.2. Transcription et traduction du conte

Transcription : Maghène na tsiési

Umabè, bambatsi babédji ba néni, maghène (Django) na tsiési (maviangu) ba matsana o mwa dimbu. Maghène ama tsana na mughatsiandi na bane, tsiési amabe bwa na ngudjiandi ama ronda puèla. Mutsanu wogu umabe uboti bilime na bilime. Bilime na bilime bike vioga, dinong diogu dimabe ignung kwang na ilumbu yo nzal djima yi dimbinine o dimbu.
Miwèli na miwéli mike vioghe, nfûl djisa ma mwé noghangue, biriri bisama mwé benda, miri ufû. Midjamb mike bande ukamughe. Bambatsi babédji bake kéwivula yi : ike uka tudilile bigudji, ike tsiè tuke bungulili bifumbe ?
Mwa ilumbu, vo matébuyile ma wisi, maghène akèdukisi vo mune ndagu tsiési, djawa na gome ake wivuli yi :
Tsiési : diambu yi ? agune ani aki dukisi vo munu ndagu na mune kedi nane ?
Maghène :diambu dié di mbè na kedi ombu wagu, tugo mwé rungul utsane nane. Rughe o nzime dikuse nga yé utsingul mwa diambu.
Tsiési : diambu adine dié digo runguse ukèl yi wisi alé tébugh na burang nane yi ?
Maghène : chuuuuut !!!mwa nfudu, nzi rugh mu utsingulu yi tuboki ba ngudji bétu tuke lèvume na mwa bilumbu abibi nzale djimatukambisi.
Tsiési : ayi ? bangudji bétu ? tsabi tsabi ! ngudji ami djima tsogh nààmi ? Tsabi tsabi !
Maghène : tugo mwé rungul unuanga bwa mambe ma mudjabe agune uki kamugh. Tuba boki,pa utse buse, ndèbè idjabi ndè nurèile uboka ! nu gubok, mba nga boke ngudji agu. Kabo payi irondi ube mognu, sing wa dyé ni utsinguli.
Tsiési (na goma akesing) : nimasing, tumb, tulèbande na djagu ngudji. Ndébè umuboke mba uki mbègh dya dikabu o dimbu dyami. Pa tuma mane udji nyame djotsu, mba nga boke dja ngudji mba nuyi uvègh dyagu di kabu.
Maghène (anomane uboke ngudjiandi, akivè tsiési dyandi dikabu) : mbatsiami, mé mbémbuami dji mosi , nane tuts gulusunu, la dyagu dikabuà.
Na maghène éwè, tsiési asamadji nyame ngudji aandi, ake tsingul ngudjiandi ilombi mba akè musuègh o ghari dilute di mufume, vo mughule mwa mudjambe wè mbè ukivu na mambe. Bilumbu na bilumbu bike viogh. Mwa tsisigha, wisi umàbe dumbirii, nful ano dùm, ake noghè. Maghène wandi ake wè ombu tsiesi ilumbu ayo yi maduka ilumbu yé nful amanoghilè.
Maghène : mbaatsi, idjabi dibandu dyè ni marughil na kedi, nane ndébè idjabili, nyame mamami djimasuk, vaak mwa bilumbu ni gukèlile yi uki mbèghe dya dikabu di nyame ngudjagu. Ndibulili ndagu.
Tsiési (amakébindighe o gari ndagu aandi) :ndé uts làb yi nful ats noghe na mukolua ?
Maghène : yine ! kabo avane ndè uts bokili mamaghu vane nful djits dimbena odjulu ndawa mumba batu baké ghulu nane étatilia na bualia ,
Tsiési : nési !
Maghène : kabo uts kèle wa vave na matébugil ma wisi vo yilu é bili mughangu, vo batu bé wendili wilu yi boti na nfula ?
Tsiési : nésioo !
Maghène (na kabu) : ka ike yi imbosili dyambu di nful ?
Tsiési (na ditékulu diotsu) : mbasiami , nful, masukusulu ma mangle,biriri ike ubend, ike na miri, na bivaru, midjamb namapape miu base na mambe. Mbatsiami, mognu mba ike ubuedji kabo ngé la dyé numwé bokili wa mamaa
Maghène (na kabu adji néni) : ménu nzi vagh nane tuma kunzil, ndé umambioyile o disu ditobigh kabo udjaba yi vave ilumbu yi nanyangu, djétu banaghu tube ngongul bédji vo misoli.
Miwèli namiwèli mike viogh, maghène asamamwè labà tsiési na ngudjandi vo dimbu. Mwa ilumbu, ake wè ô dimbu dimosi oyé là ngang bamanengila Direkulu mumba ake mutsingule wè tsiési na ngudjaandi bamasuèmina. Direkulu amabe yari ayéyi mutù, yari ayéyi ibulu na muyile ; ake va maghène yi :
Direkulu : nu nangule muyilaami, mane ndé ùla, uya rèke, uya fute matédji, uya bindighe né mbasu. Pa uts rungus uva mane ni utsingulili, mba nga utsingul vo batu bé irombi bavu, nu uvè na bisiému byé ubuagh mu nzile adji wè o mwa mudjambe agune ugha kamugh na mangle.
Tumb na maghène ébandi wa unangul muyil aandi yotsu évagili ake ukungis, ndagu Direkulu djo djik suno bas na mbungh ? Ike na bayini, na babanzi bake bas. Maghène asamamwé rungus uvume, ake bindighe mbasu, ake pale mbangu :
Maghène : kayié mbunghé ! ndè uke mipume kwè na ubwile ? kayaa nzale ulughé, une mbung, mba nimagulu dibandu dyé batu bé ukumbili !!!
Direkulu : baghé lenzi mondi mo disu ubolô. Wendango tumb pa ughabe na ivale pàs o ughango.
Maghène àno paal, aké kèla tsiési o dimbu dyandi. Tsiési wa mun ama rondili uyè dokimine dimbu dyandi ake labilile maghène, ake rine, ake wè, ake wè ake wè, manyuru wa make muvol, ake bérughe. Mune mbè ava yi ake rèleme, ake sung yé palilil ô ndagu djosu dji pisime, ake làà mwa dibal bamanénguila Direkulu yari aye mutu, yari ayi ibulu na muyile. Anomane utsigule Direkulu bikumbu, djawa, Direkulu ake mutsingule nane amatsingulile maghène. Ake mane uvabingane biotsu na burang, mba Direkulu ake muva yi :

Direkulu : Bô bisiému abibi, uke sing mo dugnuru diotsu, uke suègh mwa bimosi mumba uké kambe o wusu . Dipale u pale wunu gari ndagu adjidji, uya tsune nzime, uya bo maghétu, uya bo mabale, wènda ike na gusu. Tumb pa utse be na mwa dyambu, né yi mwa dyambu irondi, uke bo mwa bisiému uke va vo dulimi mba uke va « galu-galu ».
Tsiési ano pale o ndagu Direkulu, ake kalugh ike mwa mwane mughétu ubuédji. Vo gusuandi umabe bwa nzile bédji, maghétu na mabale, ake va ngalu ngalu, ake suno yé pààal o gari musiru wè maghène amawenda. Maghène amaru kedi na mugatsiandi o yi riabe mikanzu, ano làà tsiési vo djulu mukokulu ake muva :
Maghène:Ndé lani, kayi mune ivuandi yi mwane mughétu iva vave wagu pinze o gari musiru aghughu uga uboti ?
Mwane mughétu : (ake va mwa bisiému o munu) : nima tsiémugh, nisane biburu, nima viénguile musiru wotsu na uyèneromba mamb, manyuru mamambole, ningane nzale, kokolu tsi batsiénu, nguamusianu. Nighane mbure dji uwè.
Maghène (mugatsi amalénobus, ake musiengh, asamamwémukipang) : rugh nétu, na mé na mugatsiami tu uvè ifumbe i ghone.
Bano tôle o ndagu , mughatsi maghène anomane ulambe, djabè maghène ake nenguile mwanè mughétu o udji, mweki ake va bisiému vo duli mba ake muva :
Mwane mughétu : nirondi wa udji, tumb nyale tsiagu tsi mbè ghome, tsi tabuli. Maghène ake tabule. Mughatsi amalé no mughandise, asamagharu, ake mwé musiengh.Maghène ats mwé nenguile mwanè mughétu o udji
Maghène : nima tabule kale nyale, kabo tsié rugh o udji nami.
Mwane mughétu : nirondi wa udji, tumb muyilaghu imbè ghome. Maghène atse tabule muyile.
Ike nane kuangh na maghène amadokulile minu, ake dondule misu.
Mughatsi Maghèneano làà nane ake va mulumi : mwan mughétu aghune aruyila vave, mutsanuétu umabive, mumbayi igululu motsu mé dja éutsinguli, ughémudja né gune érughisini, namune misu ka imosi yi o mwé uva yi botulu ?
Maghène ano gulu nane ake nyogha, ake siantse mugatsi na bane. Ats mwé va mwanè mughétu :
Maghène : avava nisane nyal, muyile, minu, né misu ma ulabili mé satsi, kabo tsié rugh o udji !
Mwane mughétu :nima sing, tumb ni rondi uwivule mwa dyambu di musitu, vadje mwa dyambu dimosi diki mbè ghome. Murimaghu wimbè ghome, kabo urubuli.
Maghène ake rubule murime, ake kéboke djabèniè. Mwanè mughétu ake va ngalu ngalu, akemwè kalugh tsiési, akébo ngudjandi, ake wèlene , akebe na ifumb i néni. Ilombi ayine maghène o musiru aghérondili tsiési. Dibandu adine maghène é binguisile tsiési o musiruèèè.

Traduction : La panthère et la gazelle

Autrefois, dans un village, la panthère (Django) et la gazelle (Maviangu) étaient des grands amis. La panthère vivait avec sa femme et ses enfants alors que la gazelle n’avait que sa mère qu’il aimait beaucoup. Ils vécurent paisiblement pendant longtemps. Des années et des années passèrent, l’harmonie régnait toujours entre eux jusqu’au jour où une grande famine frappa le village.
Des mois et des mois, la pluie avait cessé de tomber, l’herbe ne poussa plus et les arbres mourraient. Les rivières commencèrent à tarir. Où trouver la nourriture, comment nourrir nos familles ? Se demandaient ainsi les deux amis.
Un jour, dès les premiers chants de coqs, la panthère alla cogner à la porte de la gazelle qui, inquiète se demanda :
La gazelle : que se passe-t-il ? Qui cogne à ma porte si tôt comme ça ?
La panthère : C’est ce problème qui m’entraîne de bonne heure chez toi, nous ne pouvons plus continuer à attendre sans rien faire. Viens derrière ta case afin que je te dise quelque.
La gazelle : quelle est cette chose qui ne peut pas attendre qu’il fasse bien jour ?
La panthère : chuuuuut !!! C’est un secret, je suis venu te proposer de tuer nos mères pour palier quelques jours à la famine qui nous terrasse en ce moment.
La gazelle (surprise par le message qui venait de lui être livré) : Quoi ? Nos mères ? Jamais ! Ma mère qui a tant souffert avec moi ? Tout sauf ça !
La panthère (menaçante) : Nous ne pourrons plus tenir longtemps en ne buvant que l’eau de la rivière qui va d’ailleurs bientôt tarir, tuons-les, si tu refuses, tu sais bien que tu seras ma première victime ! Je te tuerai, ensuite je tuerai ta mère. Alors si tu veux avoir la vie sauve, accepte ma proposition.
La gazelle (prise de peur accepta) : d’accord, j’accepte mais à une seule condition, nous allons commencer par ta mère. C’est toi-même qui la tueras et tu viendras me livrer ma part de viande chez moi. Lorsque nous aurons fini de consommer toute la viande, je tuerai ensuite ma mère et je viendrai également te livrer ta part.
La panthère (après avoir tué sa mère revint le soir même chez son ami) : mon ami, moi je n’ai qu’une seule parole, comme convenu, voici la part qui te revient. Lorsqu’il prit congé de son ami, ce dernier ne mangea pas cette viande, il révéla le secret à sa mère qu’il alla cacher dans le creux d’un fromager, près de la seule rivière où l’eau coulait encore.
Des jours passèrent. Un soir, alors que le ciel était gris, le tonnerre gronda et la pluie tomba. La panthère, revint chez son ami le lendemain de la réapparition des premières gouttes de pluie.
La panthère : mon ami, tu sais pourquoi je suis là, comme tu dois t’en douter, la viande de mère panthère est finie ; ça fait déjà quelques jours que j’attends que tu m’apportes ma part de viande de mère gazelle ! Ouvre-moi la porte.
La gazelle (enfermée dans sa maison) : as-tu constaté que cette nuit, la pluie est tombée ?
La panthère : oui ! Alors en as-tu profité pour tuer ta mère sans que personne n’entende ses cris de douleur grâce aux bruits des gouttes d’eau sur la toiture ?
La gazelle : non !
La panthère : as-tu donc préféré le faire au petit matin quand le sommeil est agréable et que tout le monde bercé par la pluie, dort profondément ?
La gazelle : non plus !
La panthère (énervée) : pourquoi me parles-tu donc de la pluie ? Ne veux-tu donc pas m’ouvrir la porte de ta maison ?
La gazelle (moqueuse) : mon ami, la pluie annonce le retour de l’eau, c’est la fin de la saison sèche, l’herbe va repousser, les arbres vont revivre, les plantes vont fleurir, les rivières vont à nouveau se gorger d’eau. Mon ami la vie va reprendre ses droits, par conséquent je n’ai plus besoin de tuer ma mère !
La panthère (très furieuse) : sache que moi j’ai respecté ma parole, alors tu devrais également faire la même chose, tu m’as trahie ! Sache cependant qu’à partir d’aujourd’hui, nous sommes toi et moi, deux mille pattes dans un champ en friche.
Pendant plusieurs lunes, la panthère ne voyait plus la gazelle et sa mère dans le village. Des jours et des jours passèrent encore puis la panthère décida d’aller dans un village voisin pour consulter un homme appelé Direkulu (celui qui fait l’objet de moquerie) afin de savoir où se cachaient la gazelle et sa mère. Direkulu qui était mi - humain, mi-animal avait une queue ; Il dit alors à la panthère :
Direkulu : je vais lever ma queue, quel que soit ce que tu verras, tu ne dois ni rire, ni te moquer, ni cracher encore moins te boucher le nez. Si tu réussis à cette épreuve, je te dirai où se cachent ceux que tu cherches et je te donnerai une poudre que tu jetteras le long du chemin qui mène à la seule rivière qui n’a pas tari pendant la saison sèche.
Mais dès que la panthère commença à secouer sa queue et avant même de la lever, une odeur nauséabonde envahit la chambre de Direkulu, les asticots et les mouches inondèrent la pièce et la panthère ne put supporter cette épreuve. Il s’en alla en criant :
La panthère : Ô quelle odeur ! Depuis combien de temps ne t’es – tu pas lavé ? Je vais vomir, j’ai la nausée, tu es trop sale et je comprends pourquoi dit-on que tu es la risée de tout le monde ici !!! Direkulu répondit en ces termes :
Direkulu : On ne sous-estime pas le chien qui a un œil pourri ! Pars, mais sache que si tu ne trouves pas un arbre sur lequel te poser, le buffle finira par t’attraper
Dès qu’elle sortit de chez Direkulu la panthère alla guetter la gazelle. Le soir, alors qu’elle voulait faire un tour chez elle, la gazelle aperçut la panthère. Elle rebroussa chemin et marcha, marcha, marcha. Epuisée, elle trébucha et tomba. Au moment de se relever, elle se retrouva dans une chambre sombre, face à un être bizarre, mi-humain, mi-animal. Après avoir raconté sa mésaventure, elle demanda à Direkulu de la protéger du danger qui la guettait. Elle fut soumise à la même épreuve que la panthère et la réussit avec succès. Direkulu lui dit alors :
Direkulu : prends cette poudre que tu vas frotter sur tout ton corps, gardes-en un peu, car tu en auras besoin plus tard. En sortant de cette chambre, ne te retourne pas ; marche devant toi sans prendre ni la gauche ni la droite. Toutefois, si une difficulté se dresse devant toi ou si tu veux qu’un désir s’accomplisse, mets un peu de cette poudre sur ta langue et dis seulement « galu-galu ».
En sortant de la chambre de Direkulu, la gazelle n’était plus la gazelle, elle ressemblait maintenant à une jeune belle créature à laquelle personne ne pouvait rester indifférente. Devant elle, il n’y avait que deux chemins, un à gauche et l’autre à droite. Elle exécuta aussitôt la recommandation de Direkulu et se retrouva soudain dans une forêt que fréquentait la panthère. Accompagnée de sa femme, la panthère qui vint pour recueillir du bois de chauffage découvrit cette belle créature et lui demanda :
La panthère : Qui es-tu et pourquoi une jeune belle fille comme toi reste seule dans cette forêt si dangereuse ?
La jeune femme : (elle mit un peu de poudre sur sa langue) : je suis perdue, j’ai perdu tous mes parents, j’ai marché, marché, marché dans la forêt à la recherche d’un point d’eau ; je suis épuisée, j’ai vraiment faim. Voulez-vous m’aider s’il vous plaît ? Je n’ai nulle part où aller.
La panthère (malgré le refus de sa femme qu’elle insulta copieusement) : viens avec nous, ma femme et moi-même allons t’offrir une nouvelle famille.
Lorsqu’elle invita la jeune femme à partager le repas avec lui, cette dernière mit discrètement la poudre que lui avait remise Direkulu sur sa langue et répondit :
La jeune femme : je veux bien manger avec toi, mais tes griffes là me font peur. Coupe-les.
La panthère s’exécuta malgré l’opposition de sa femme qu’il continua à injurier. Il invita à nouveau la jeune femme.
La panthère : tu n’as plus de raison d’avoir peur, viens manger avec moi puisque je n’ai plus de griffes.
La jeune femme : je veux bien venir manger avec toi, mais ta queue là me fait peur. La panthère coupa sa queue. Le même scénario se répéta jusqu’à ce que la panthère s’arracha les crocs ainsi que les yeux et invita à nouveau la jeune fille.
La femme de la panthère (excédée par ce spectacle) dit à son mari : mon malheur a commencé depuis que tu as introduit cette femme dans notre maison, ressaisis-toi ! Tu ne vas quand-même pas céder à tous les caprices de cette inconnue ! Même les yeux aussi ? Après que va-t-elle te demander encore ? La panthère rentra dans une colère noire et chassa sa femme et les enfants puis invita encore la jeune fille en ces termes :
La panthère : Maintenant que je n’ai plus ni griffes, ni queue, ni crocs, ni même les yeux pour te voir, viens donc manger !
La jeune femme : d’accord, mais je vais te demander juste une dernière chose car il y a encore une seule chose qui me fait peur. Les battements de ton cœur m’effraient, alors arrache ton cœur ! La panthère mit ainsi lui-même fin à ses jours sur terre en s’arrachant le cœur.
La jeune fille dit galu-galu, elle redevint gazelle, alla chercher sa mère et rencontra une femme qu’il épousa et fonda une grande famille. C’est depuis ce jour que la panthère s’en prend toujours à la gazelle dans la forêt.

2. Interprétation du conte

2.1. Les épreuves

L’interprétation que nous proposons tient compte du contexte punu car la compréhension des éléments culturels contenus dans ce conte ne peuvent être accessibles qu’en se référant à ce groupe linguistique du sud du Gabon.
Le conte que nous analysons est traversé par les schèmes fondamentaux de la mort et de la résurrection qui caractérisent l’initiation dans le rituel social. Il s’agit dans ce conte de l’accession à la connaissance par le biais de l’initiation, laquelle initiation impose des épreuves difficiles à subir. La première épreuve est sans conteste ici, celle de la faim et de la soif, ce qui est une nécessité dans la réalité des rites initiatiques. En effet, le candidat à l’initiation doit être à jeun, léger, pur ; il doit éprouver de la faim et de la soif, cela correspond de manière symbolique à une soif de connaissances. Le fait que la panthère ne résiste pas à cette épreuve présage déjà de son échec à l’initiation, c’est elle qui propose à la gazelle de tuer leurs mères : « Chuuuuut !!! C’est un secret, je suis venu te proposer de tuer nos mères pour palier quelques jours à la famine qui nous terrasse en ce moment ».
L’initiation est symbolisée dans un premier temps par la rencontre de la panthère avec le personnage de Direkulu dans la chambre de ce dernier. La première épreuve que la panthère doit subir est celle de supporter l’odeur de puanteur que dégage Direkulu ; malheureusement il n’aura pas l’occasion de passer la deuxième épreuve qui consistait à asperger la poudre magique qui devrait le conduire jusqu’à sa proie (la mère de la gazelle). La panthère échoue lamentablement puisqu’elle ne respecte pas la consigne donnée par Direkulu.
Ici apparaît clairement une notion très importante dans la société traditionnelle africaine. Comme toute société organisée, la société punu est régie par des règles, des normes où le tabou et l’interdit font partie de la coutume. Le non respect ou la violation de certains principes, de l’interdit, entraine des conséquences graves alors que l’observation ou le respect scrupuleux de ceux-ci met l’individu à l’abri des représailles. Cette réalité n’est pas en reste dans la pratique initiatique qui consacre et renforce la sacralité du pouvoir en assurant une certaine protection. La panthère ne connaîtra pas ce bonheur, il sera au contraire voué à une mort sociale pour n’avoir pas respecté un interdit : « Ô quelle odeur ! Depuis combien de temps ne t’es–tu pas lavé ? Je vais vomir, j’ai la nausée, tu es trop sale et je comprends pourquoi dit-on que tu es la risée de tout le monde ici !!! ».
Alors qu’il lui a été recommandé de ne manifesté aucun sentiment de dégout face à « l’homme-animal », la panthère va se distinguer par des paroles désobligeantes vis-à-vis de celui qui devrait lui montrer le chemin de la connaissance. Mais il faut dire que cette attitude de la panthère n’est que la suite logique d’une grave transgression dès le départ. En effet, elle a tué, de ses propres mains, sa mère ! Or dans la société punu, la mère est un être dont le caractère sacré induit soit la bénédiction, soit le malheur. La panthère a brisé un des principes de la tradition orale qui est également un des dix commandements de la bible : tu ne tueras point !
L’initiation intervient ensuite lorsque la gazelle tombe en fuyant au moment où il aperçut la panthère devant sa maison. La chute de la gazelle signifie que cette dernière n’a pas encore atteint sa maturité qu’elle va finalement acquérir par l’initiation. Cette chute va le conduire dans une chambre sombre où elle se retrouve face à un être surnaturel.Sa quête de la connaissancenesera que la répétition en actes positifs cette fois-ci, de l’épreuve vécue par la panthère.Notons que la connaissance qu’il acquiert est symbolisée dans le conte par une poudre magique que lui remet Direkulu.
Direkulu, « L’homme-animal » lui, symbolise dans le conte les ancêtres et les forces surnaturelles qui président à toute initiation. Il joue alors le rôle de messager de l’au-delà. Toutefois, il peut également être considéré comme étant l’incarnation de la science occulte dans un sens plus général. Dans la société traditionnelle punu en effet, cette catégorie de personnes a un statut particulier et y occupe une place de choix. Elle détient une science redoutable dont le pouvoir émane de sa communion permanente avec le monde des esprits. Présenté souvent comme un être étrange (il est « mi-homme », « mi-animal », il possède plusieurs attributs ; tantôt il est guérisseur, jeteur de mauvais sorts, protecteur ; tantôt il est le justicier de la société. Les fétiches qu’il utilise sont considérés comme des catalyseurs d’énergie qui peuvent être des objets de toutes natures, des « gris-gris » auxquels on attribue un certain pouvoir. Dans notre conte, il s’agit d’une poudre magique :
« Prends cette poudre que tu vas frotter sur tout ton corps, gardes-en un peu, car tu en auras besoin plus tard. En sortant de cette chambre, ne te retourne pas ; marche devant toi sans prendre ni la gauche ni la droite. Toutefois, si une difficulté se dresse devant toi ou si tu veux qu’un désir s’accomplisse, mets-en un peu sur ta langue et dis seulement « galu-galu ».
La poudre a ici valeur de « secret », de connaissance suprême révélée et transmise par « L’homme-animal ». Cette poudre qui permet à la gazelle de se transformer en une belle créature a la même valeur que les objets magiques décisifs qui, dans les contes africains, garantissent le succès de la quête. C’est ainsi qu’elle fait d’elle un être parfait qui fait agir, qui fait faire des actes même les plus insensés ; elle permet également d’acquérir des valeurs spirituelles, une grande maturité, de la fécondité, en somme une assise sociale. On assiste donc à une forme de renaissance de la gazelle à travers sa transformation ; elle renaît de la mort initiatique à une nouvelle vie, elle passe d’une étape inférieure à un palier supérieur, du stade d’adolescent à celui d’adulte : « .La jeune fille dit galu-galu, elle redevint gazelle, alla chercher sa mère et rencontra une femme qu’il épousa et fonda une grande famille ».
Soulignons que l’accession à la connaissance constitue, pour ceux qui la détiennent, un grand privilège en ce que celle-ci procure un pouvoir de domination sur ceux qui ne l’ont pas. C’est exactement ce à quoi la gazelle transformée en jeune fille va se livrer car sa parole induit directement l’action ; tout ce qu’elle demandera à la panthère sera exécuté au point d’amener cette dernière à s’arracher le cœur : « Maintenant que je n’ai plus ni griffes, ni queue, ni crocs, ni même les yeux pour te voir, viens donc manger ! »
La jeune femme : « d’accord, mais je vais te demander juste une dernière chose car il y a encore une seule chose qui me fait peur. Les battements de ton cœur m’effraient, alors arrache ton cœur ! La panthère mit ainsi lui-même fin à ses jours en s’arrachant le cœur ».

2.2. Les ingrédients de l’initiation

Dans les sociétés traditionnelles, les pratiques culturelles sont régies par les notions de temps et d’espace mais aussi par certains éléments tels que la forêt et l’eau. Dans le conte qui fait l’objet de notre étude, la chambre noire constitue le premier lieu où se déroule la première phase de l’initiation qui va ensuite se poursuivre dans la forêt qui est le lieu de prédilection des échanges entre les vivants et les morts, un espace d’équilibre entre le monde physique et métaphysique. C’est dans la forêt que s’achève en réalité l’accomplissement de l’initié. La chambre noire renvoie à l’image du labyrinthe qui apparaît souvent dans les contes africains et qui annonce également la présence d’un carrefour (ou plusieurs chemins) qui met le héros (candidat à l’initiation) face à la difficulté de choisir le bon chemin qui le conduira sur la voie de la connaissance. Cet espace exprime ainsi un univers clos et piégé qui met parfois l’accent sur le caractère étouffant de l’enfermement avant de se transformer en un chemin presqu’infini conduisant au lieu final où se jouera le destin du héros. Mais dans le présent conte, « le héros positif » est aidé par l’initiateur, Direkulu, l’incarnation d’un ancêtre de la gazelle qui lui remet une poudre magique « multifonctions ».
La forêt, lieu initiatique capital, est un espace de résurrection qui sépare le monde profane du sacré. Elle y regorge plusieurs éléments de la nature qui sont des symboles de la purification (l’eau à travers la rivière située à coté du fromager), de l’élévation (le fromager) de la fécondité (le creux du fromager).
L’arbre de l’initiation n’est pas choisi au hasard. Le fromager (mufume) est une des espèces les plus signifiantes de l’univers végétal punu. Tous ses éléments (feuilles, écorces, racines) sont utilisables par l’homme pour des besoins médicinales. En outre, il présente l’avantage de former un creux au centre du tronc ; ce creux est considéré dans l’imaginaire punu tantôt comme un refuge, une cachette, tantôt comme un univers utérin, mais surtout comme le village des ancêtres. La veille de l’initiation, les maîtres initiateurs y conduisent tous les candidats pour demander aux ancêtres si les néophytes sont aptes ou non à subir cette épreuve. Cette phase de pré-initiation appelée « ifunde » est une étape importante au cours de laquelle les candidats sont préparés physiquement et spirituellement en subissant une sorte de purification : ils sont enduis d’une mixture composée de feuilles, d’écorces et de racines du fromager mélangées à « autre chose » avant d’être lavés dans une rivière située à côté de « l’arbre de l’initiation ». Cet arbre est donc le symbole de l’ancestralité, celui vers qui on se tourne lorsque survient une quelconque difficulté. C’est cette réalité que l’auteur congolais Alain Mabanckou (2006 : 43) dévoile dans son roman Mémoires de porc-épic à travers le personnage du porc-épic lorsque ce dernier va se refugier au pied du baobab et s’adresse à lui en ces termes : « Mon choix de me cacher à ton pied n’est pas le fait d’un hasard, je n’ai pas hésité un seul instant dès que je t’ai aperçu en longeant la rivière, je me suis dit que c’est là que je m’abriterai, je veux en fait tirer profit de ton expérience d’ancêtre (…) »
L’arbre, en l’occurrence le fromager, est un lieu de refuge, un lieu de protection qui préserve du danger ; c’est d’ailleurs ce lieu que choisit la gazelle pour mettre sa mère à l’abri du danger qui la guette face à la panthère. Il est aussi un lieu de délivrance et de purification, le symbole de la sagesse et du savoir.

2.3. Le rapport conte / société actuelle

Un rapport entre les éléments du conte et la société actuelle peut être établi. Soulignons que l’enseignement ou l’éducation par le conte à travers diverses épreuves que subissent les héros négatifs et positifs (la panthère et la gazelle) sont en réalité, le parcours de l’individu en quête de réussite sociale. Celui-ci est parfois confronté à plusieurs difficultés, à des situations complexes. C’est grâce à son endurance à affronter la vie, par des aptitudes à surmonter les vicissitudes de cette vie, qu’il sera admis ou pas à certains grades ou strates de la société. L’individu, candidat à l’élévation spirituelle ou intellectuelle est obligé de suivre, un enseignement théorique et/ou pratique dans des domaines variés pour achever sa formation.
Cette école de la vie obéit à des principes, des règles à respecter. La violation de certaines lois ou le non-respect des interdits expose nécessairement à des sanctions, sinon à des conséquences parfois dramatiques. En somme, la qualité de la vie aujourd’hui dépend à la fois des efforts personnels à la construction d’un idéal de vie, mais également à la conformité à la norme.
L’initiation est donc ici, le reflet d’une pratique sociale dont le conte se sert pour traduire une certaine appropriation de la culture gabonaise. Le conte est certes, un outil, un prétexte à la créativité littéraire, mais il s’enracine dans l’oralité profonde qui met l’être humain dans une relation harmonieuse avec le monde qui l’entoure.

CONCLUSION

Au terme de notre réflexion, nous disons que le conte gabonais à travers l’exemple d’un conte punu est le reflet des activités sociales, il permet la transmission des connaissances, du patrimoine culturel aux plus jeunes surtout, aide à l’intégration sociale et inculque aux hommes une sagesse pratique des réalités de la vie en communauté. Il est non seulement une forme d’école africaine traditionnelle, mais le garant de l’unité du groupe et du respect des institutions tant sociales que religieuses. Il est en somme un mode d’expression total.
Le conte représente d’abord un acte de langage puisqu’il raconte une histoire jugée digne d’être portée à l’adresse d’un auditoire suivant une certaine rhétorique propre au groupe social qui le produit. Il utilise une certaine langue et met en exergue des valeurs traditionnelles de cette société. Celui-ci enrichit donc la langue et la pensée, il stimule la créativité et développe l’éloquence. Il développe enfin l’expression et ainsi parallèlement la communication.
Issu de la tradition populaire, il appartient à la mémoire collective (il est fait par et pour le peuple). Dans le conte qui fait l’objet de notre étude, les principaux thèmes dévoilés (l’amour maternel, l’amitié et l’initiation) mettent en exergue le personnage de la gazelle qui incarne l’intelligence qui se confond à la ruse et à la malice. Il présente une situation difficile et fait prendre conscience des réalités de la vie en encourageant chacun à trouver des solutions face à ses propres problèmes. Il favorise ainsi le développement intellectuel de l’individu et a donc de ce point de vue, un impact positif sur la personnalité de l’enfant et la maturité de son esprit. Il est instructif, explique les causes de certains phénomènes de la nature (la sécheresse, la famine...). La morale qu’il dégage est quelque peu ambiguë, mais symbolise de manière claire la victoire des faibles sur les puissants, du bien sur le mal, de la vie sur la mort.
Alors qu’il favorise l’expression orale et la fertilité de la mémoire individuelle, le conte est malheureusement de plus en plus rare dans les villages. Aussi, l’introduction du conte dans le système éducatif gabonais est-elle à encourager au regard de l’évolution rapide des modes de transmission des connaissances. Nous pensons qu’il est fort probable que les séances de contes disparaissent totalement un jour, mais le conte ne périra pas ; il survivra grâce aux livres, aux bandes sonores, grâce à la radio et à la télévision.Pour Paolo Belpassi, « ... l’introduction de ces contes à l’école, et pas seulement dans les premières phases de la scolarisation, offre une occasion précieuse d’expérimenter et de pratiquer l’utilisation artistique de la parole, les possibilités créatrices inépuisables du langage- à un niveau à la fois expressif et esthétique-, comme c’est le propre des cultures orales... ».


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P.-S.

en logo une photographie de Menno Aden.

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