La Saga de Hrólfr kraki est comme la lueur de l’aube se levant sur la littérature des sagas légendaires islandaises, dites aussi « sagas des temps anciens » ou « sagas mensongères ». Façonnée probablement au VIe siècle, elle est apparentée au célèbre Beowulf anglo-saxon, avec lequel elle partage quelques héros, et comme lui, surtout, elle puise à pleines mains dans les ténèbres des légendes archaïques du Nord pour donner matière à son propos.
Soit donc, en des temps primitifs, une lignée royale maudite du Danemark, celle des Skjöldungar, dont les frères fondateurs s’entretuent par soif du pouvoir, et dont l’un des brillants rejetons, après avoir vengé l’assassinat de son père par son oncle, épouse sans le savoir sa propre fille du fait de la vengeance d’une reine-sorcière outragée. De cette union naîtra Hrólfr, appelé à faire régner la paix dans son royaume. C’est sans compter sur la versatilité du dieu pourvoyeur de victoire, cauteleux et traître à l’occasion, Odin.
CONTE EPIQUE
Ainsi se déploie une saga sans équivalent, épousant souvent un style épique qui n’est pas sans rappeler le cycle arthurien dès lors qu’elle rapporte en outre les aventures des héros qui accompagneront Hrólfr jusqu’au terme de son destin. Bödvarr, l’homme-ours, ou Hjalti, le lâche devenu preux après avoir bu le sang du dragon, sont parmi les grandes figures de cette geste pleine de passions effrénées et de sorcières maléfiques assistées de trolls immondes ; les bêtes sauvages, comme des totems, surplombent de leur ombre les affrontements des rois du Nord, qu’il s’agisse de l’Ours danois ou du Verrat gigantesque des Suédois.
Car la Saga de Hrólfr kraki conte par la légende la naissance des premiers royaume scandinaves, dans une atmosphère où la magie (et singulièrement la magie chamanique) inonde le monde des vivants au point que le surnaturel ne se laisse plus guère distinguer.
ET LEGENDE ROMANESQUE
Mais c’est aussi bel et bien un roman, où les tourments des personnages sont rendus saisissants dans une rigoureuse économie de moyens, tels les errements d’Yrsa, mère et sœur de Hrolfr, aux prises avec la passion qu’elle éprouve pour son père et époux Helgi, lui-même incapable de mettre un frein à ses emportements qui pourtant le détruisent.
D’une richesse documentaire et narrative extrême dont on a pas encore exploré tous les recoins, la Saga de Hrólf kraki, célèbre dans le monde anglo-saxon, n’avait jamais été traduite en français.
Il existe du reste une habile paraphrase traduite en français de ce récit, La saga de Hrólf Kraki, un roman de l’auteur américain Poul Anderson en Folio SF, qui connaît encore aujourd’hui un gros succès.
Régis Boyer est professeur émérite de Paris IV, il a traduit chez Gallimard les Sagas islandaises (coll. Pléiade), et a déjà traduit aux éditions Anacharsis la Saga de Hrolfr sans terre (2004), la Saga de Bárdr (2007) et la Saga des Fiers-à-bras de Haldor Kiljian Laxness, dans la collection Fictions (2006).