Il s’est mis à pleuvoir très fort. Nous étions tous sous l’auvent de la maison.
Béa se mit à coudre une robe pour ma fille alors que Denis regardait jouer les enfants avec le petit train que leur avait apporté Tim.
Aya, elle, préparait déjà les valises à l’intérieur.
Moi je buvais un léger vin de palme tout en regardant les enfants.
Aucune envie de partir d’ici. Tim semblait d’accord avec moi. D’ailleurs nous sentions tous une profonde mélancolie nous envahir. Nous avions mis tellement d’années pour venir ici qu’il nous semblait absurde de devoir déjà partir.
Fièrement, j’avais mis la chemise que m’avait offerte mon beau-père, Denis.
Je savais que je reviendrai ici et je pensais profondément que je pourrai un jour vivre dans un endroit comme celui-là... En quelques jours l’Afrique avait opéré en moi quelque chose que je n’arrivais pas encore à définir.
J’aurais aimé partir chasser avec Denis ainsi que passer quelques jours au village d’où toute la famille était issue, mais on avait décidé pour moi que les jalousies villageoises auraient pu être dangereuses pour nous. De toute façon nous n’avions tout simplement pas eu le temps d’aller au village natal.
D’un coup la pluie s’est mise vraiment à tomber d’une manière surprenante. Des litres et des litres en quelques minutes. Le courant général s’éteint d’un coup. Vite on met des bougies, ici et là. Je retrouve ma lampe de poche à dynamo. Béa change de machine à coudre. Elle prend la vieille à pédales. Gildas éclaire afin qu’elle puisse terminer la robe de la petite.
Puis vient ce moment hors temps. Aya explique à tout le monde que nous repartons le lendemain matin.
Je propose alors de prendre des portraits des uns et des autres face au bleu de la maison. Commence alors une incroyable séance où chacun a sa place et se succède.
Puis vient le temps des adieux. Aya parle du sens de notre voyage, de ce que nous avons ressenti. Tout le monde se met à pleurer, d’une manière pudique et silencieuse. Même Gildas et Charles.
La pluie a envahi nos yeux et elle se déverse sur la terre rouge de Sakassou.
"Si Dieu existe, je lui dirai : voilà ce qui a été pour moi le comble du bonheur. Je n’ai pas craint de d’affronter la mort pour faire l’amour ainsi ; la volupté que Tu avais mise dans nos corps, nous l’avons jetée sur Tes pierres près des astres."
Une terrible mélancolie mêlée de joie fait battre mon cœur. Heureux et menacé dans la nuit, venu du plus lointain passé, déjà dans l’avenir, je tremblais de l’honneur et de l’orgueil d’être ce soir homme.