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Vers une ère post-média 

vendredi 3 mai 2013, par Félix Guattari

La jonction entre la télévision, la télématique et l’informatique est en train de s’opérer sous nos yeux et elle s’accomplira probablement durablement dans la décennie à venir. La digitalisation de l’image télé aboutit bientôt à ce que l’écran de télé soit en même temps celui de l’ordinateur et celui du récepteur télématique. Ainsi des pratiques aujourd’hui séparées trouveront-elles leur articulation. Et des attitudes, aujourd’hui de passivité, seront peut-être amenées à évoluer. Le câblage et le satellite nous permettront de zapper entre 50 chaînes, tandis que la télématique nous donnera accès à un nombre indéfini de banques d’images et de données cognitives. Le caractère de suggestion, voire d’hypnotisme, du rapport actuel à la télé ira en s’estompant. On peut espérer, à partir de là, que s’opérera un remaniement du pouvoir mass-médiatique qui écrase la subjectivité contemporaine et une entrée vers une ère postmédia consistant en une réappropriation individuelle collective et un usage interactif des machines d’information, de communication, d’intelligence, d’art et de culture.
À travers cette transformation, c’est la triangulation classique : le chaînon expressif, l’objet référé et la signification, qui se trouvent remaniées. La photo électronique, par exemple, n’est plus l’expression d’un référent univoque, mais production d’une réalité parmi d’autres possibles. L’actualité télévisée résultait déjà d’un montage à part de composantes hétérogènes : figurabilité de la séquence, modélisation de la subjectivité en fonction des patterns dominantes, pression politique normalisante, soucis d’un minimum de rupture singularisante… À présent, c’est dans tous les domaines qu’une telle production de réalité immatérielle passe au premier plan, avant la production de liens matériels et de services.

Doit-on regretter le « bon vieux temps » où les choses étaient ce qu’elle étaient, indépendamment de leur mode de représentation ? Mais ce temps a-t-il jamais existé ailleurs que dans l’imaginaire scientiste et positiviste ? Déjà au paléolithique –avec les mythes et les rituels– la médiation expressive avait pris ses distances avec « la réalité ». Quoi qu’il en soit, toutes les anciennes formations de pouvoir et leurs façon de modéliser le monde ont été déterritorialisées. La monnaie, l’identité, le contrôle social passent sous l’égide de la carte à puce. Les événements d’Irak, loin d’être un retour sur terre, nous font décoller dans un univers de subjectivité mass-médiatique proprement délirant. Les nouvelles technologies sécrètent, dans le même mouvement, de l’efficience et de la folie. Le pouvoir grandissant de l’enginerie logicielle ne débouche pas nécessairement sur celui de Big Brother. Il est beaucoup plus fissuré qu’il n’y paraît. Il peut exploser comme un pare-brise sous l’impact de pratiques moléculaires alternatives.

P.-S.

Texte publié dans Terminal numéro 51, 1990

Source : http://www.revue-chimeres.fr/guattari/artde/divers.html#term

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