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Mexique : marée noire, violence paramilitaire à San Juan Copala 

lundi 3 mai 2010, par Jean-Pierre Petit-Gras

La vague de violence qui submerge actuellement le Mexique s’intensifie. Mais, au-delà des gros titres et des photos sensationnalistes étalant complaisamment d’innombrables cadavres (plus de 8000 en un an), dont la presse « officielle » nous abreuve jusqu’à l’écoeurement, pour impressionner et faire accroire que le gouvernement de Felipe Calderón, appuyé par celui de Barak Obama, « fait la guerre au narcotrafic », il convient d’analyser d’un peu plus près les causes de tels massacres, et les objectifs poursuivis.
Les événements de Santa María Ostula, dans le Michoacán (voir notre article sur Mediapart « Où est passé Francisco de Asís Manuel ? »), et ceux de San Juan Copala, dans l’Oaxaca, montrent clairement la nature des véritables enjeux de cette violence.
Les habitants de San Juan Copala, localité de la région triqui, dans l’ouest de l’Etat de l’Oaxaca, ont créé en janvier 2007 une « municipalité autonome », marquant ainsi leur décision de s’autogérer, face à un gouvernement qui les a marginalisés, méprisés et spoliés depuis des décennies. Mais cette attitude, liée à leur participation à la résistance de l’APPO lors de la « commune d’Oaxaca », leur vaut depuis un harcèlement brutal, mené par les polices locale, régionale et fédérale, mais aussi par des groupes paramilitaires et parapoliciers, impulsés par le parti de la révolution institutionnelle, le PRI du gouverneur Ulises Ruiz Ortiz. Enlèvements, viols et meurtres sont le prix payé par cette population en résistance. Depuis plusieurs semaines, l’un des groupes paramilitaires, l’UBISORT, bloque les accès à San Juan Copala, afin de tenter d’isoler ses habitants. Une caravane est donc partie de la ville d’Oaxaca, le 27 avril, pour rompre ce blocus et apporter à Copala médicaments, vêtements, livres et appui moral d’associations solidaires, ainsi que la présence d’observateurs des droits humains. Les paramilitaires, armés de fusils de guerre, ont intercepté et mitraillé la caravane, tuant deux des participants, la Mexicaine Alberta Cariño Trujillo et le Finlandais Jyri Antero Jaakola, en blessant une quinzaine d’autres. Avant de libérer les membres de la caravane, ils n’ont pas caché qu’ils agissaient sous la protection du PRI et du gouverneur Ulises Ruiz.

Actuellement, le gigantesque rouleau compresseur de l’économie capitaliste industrielle avance sur les derniers territoires qu’il ne contrôle pas encore. Il s’agit pour lui de mettre la main sur l’ensemble des ressources humaines et matérielles de la planète. Pétrole, uranium, or et métaux rares, bois précieux, zones touristiques, énergie hydraulique et biodiversité, groupes humains s’obstinant à vivre de façon autonome et digne, tout doit tomber dans l’engrenage de la machine. Avec parfois, l’assentiment hébété ou la soumission apeurée d’une partie de la population, subjuguée par le clinquant et la facilité apparente de la vie aliénée que ce « développement » répand et impose partout.

C’est le drame qui se joue actuellement au Mexique. Marées noires, bétonnage du littoral, contamination chimique et OGM, grippe porcine, massacres entre narco-militaires et politico-gangsters ne sont que les conséquences, mais aussi les armes employées par le système pour tenter d’écraser définitivement les résistances paysannes et indigènes.

Alberta (Bety) Cariño était l’une de ces résistantes. En décembre 2009, elle était à Mexico devant l’ambassade du Canada, pour dénoncer l’assassinat d’un paysan du Chiapas, Mariano Abarca, par des paramilitaires au service de l’entreprise minière Blackfire. Pour qui comprend la langue espagnole, le document suivant donne une idée de la personnalité et du combat de cette femme, abattue par l’Ubisort, sur la route de San Juan Copala.

Voir la Pétition urgente relative à l’attaque d’humanitaires par des paramilitaires.

ps :

Reproduit avec l’autorisation de l’auteur depuis le Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte.

Mise à jour du 4 mai 2010 :

Déclaration politique de VOCAL sur l’agression paramilitaire qu’a subie la caravane d’observation et de solidarité avec la commune autonome de San Juan Copala le 27 avril 2010.
Les faits de violence du 27 avril dernier, au cours desquels la caravane d’observation et de solidarité avec la commune autonome de San Juan Copala, dont notre organisation faisait partie, a été attaquée à l’arme à feu par le groupe paramilitaire de l’UBISORT-PRI et les compañeros Bety Cariño Trujillo et Jyri Jaakkola assassinés, démontrent le degré de violence et d’impunité grâce auxquelles se maintiennent au pouvoir l’assassin Ulises Ruiz Ortiz, le parti gouvernant PRI et les caciques locaux, ainsi que le paramilitarisme sur lequel s’appuie ce parti politique dans les communautés indigènes et paysannes de l’État d’Oaxaca.
Hier 29 avril, vers midi, nos compañeros Noé Bautista et David Venegas, membres de VOCAL, ont réussi à briser l’encerclement paramilitaire et arriver jusqu’à la ville de Juxtlahuaca, où ils ont annoncé que les compañeros journalistes de la revue Contralínea, David Cilia et Erika Ramírez étaient toujours en vie, mais dans l’impossibilité de se déplacer à cause des blessures par balles de David Cilia. Ils ont exigé une opération de sauvetage ; grâce aux pressions exercées par les familles d’Erika et David et leurs collègues de travail, ainsi qu’à la preuve de vie constituée par la vidéo remise par nos compañeros aux familles, celle-ci a finalement été réalisée hier avec succès et ces compañeros sont en train de récupérer de l’agression subie.
Cependant, la récupération des corps des assassinés, les soins aux blessés et le retour des disparus ne résolvent pas le problème fondamental de San Juan Copala à cause duquel la caravane de solidarité et d’observation a été organisée : l’état de siège et les assassinats impunis que le PRI-UBISORT continue à perpétrer contre la commune autonome, avec la totale complicité de l’État d’Oaxaca dirigé par Ulises Ruiz Ortiz. Depuis novembre 2009 jusqu’à ce mois d’avril il y a eu dix-neuf assassinats impunis contre des habitants de la commune autonome de San Juan Copala commis par le PRI-UBISORT, qui en outre leur a coupé l’électricité et maintient à l’entrée de la communauté un barrage empêchant même l’entrée des femmes avec des aliments.
Pendant les journées qu’a duré la disparition des compañeros, on a pu constater que les agressions armées contre la commune autonome de San Juan Copala de la part du PRI-UBISORT sont récurrentes et permanentes. Que la complicité du gouvernement de l’État est manifeste et éhontée, et nous croyons fermement qu’il se prépare une agression paramilitaire de grande envergure contre les habitants de la commune autonome de San Juan Copala.
Nous pensons que cette attaque paramilitaire et ce qui pourra advenir ensuite ont pour objectif principal de détruire un processus qui recherche l’unité de la nation triqui en s’appuyant sur l’organisation autonome d’un peuple indigène qui a vécu pendant des décennies la division et la violence entre frères, provoquées par les intérêts de contrôle politique du parti d’État, le PRI.
Nous pensons que cette attaque est aussi dirigée contre tous les processus d’autonomie des communautés et organisations qui dans l’État d’Oaxaca luttent pour construire une forme de vie éloignée du pouvoir d’État et de tous les partis politiques.
Nous rendons responsables de cette agression paramilitaire le PRI-UBISORT, groupe armé qui a directement perpétré ces crimes le 27 avril, mais aussi Ulises Ruiz Ortiz, coupable de tolérer jusqu’à la complicité l’existence de ces groupes, et Eviel Pérez Magaña, candidat du PRI au poste de gouverneur de l’État, car étant donné les macabres traditions du pouvoir à Oaxaca, ces actes de violence font partie de la politique répressive dont le candidat priiste au gouvernorat fait preuve face à la société afin de garder le contrôle politique par la voie de la terreur.
Nous lançons un appel urgent aux compañeros du monde entier impliqués dans la tâche de l’observation internationale à rester attentifs au processus de lutte des peuples d’Oaxaca qui, comme l’a démontré la brutale embuscade du 27 avril, se trouve dans une spirale de violence et d’agression croissantes de la part du gouvernement et des paramilitaires.
Nous exigeons que l’assassinat des compañeros Bety Cariño, de l’organisation de Droits humains CACTUS, infatigable combattante pour la Terre-Mère, et de Jyri Jaakkola, observateur international pour la paix dans la justice et la dignité, ne reste pas impuni ; que toute l’attention que cette agression a suscitée parmi la société, les mouvements sociaux et la presse aux niveaux régional, national et international se tourne vers la cause qui nous a poussés à nous organiser et nous déplacer en caravane ce fatidique 27 avril : ROMPRE L’ENCERCLEMENT AUTOUR DE SAN JUAN COPALA ET EMPÊCHER UNE AGRESSION PARAMILITAIRE DE GRANDE ENVERGURE DE LA PART DU PRI-UBISORT.
Nous exprimons également notre solidarité avec les compañeros Omar Esparza, de CACTUS, et Jorge Albino, porte-parole de la commune autonome de San Juan Copala, face aux menaces de mort qu’ils ont reçues de la part de l’UBISORT et du gouvernement d’Ulises Ruiz.
Nous rendons responsables de toute agression qui pourrait survenir à l’encontre des membres de notre organisation VOCAL Ulises Ruiz Ortiz, le candidat du PRI au poste de gouverneur d’Oaxaca, Eviel Pérez Magaña, et l’UBISORT-PRI.
Fraternellement,
VOIX OAXAQUÈGNES CONSTRUISANT L’AUTONOMIE ET LA LIBERTÉ – VOCAL
Oaxaca de Magón, ville de la Résistance, le 30 avril 2010.
Traduit par el Viejo.

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