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Lettre de Paris au camarade Kostrov sur l’essence même de l’amour (1928) 

lundi 28 janvier 2013, par Maïakovski

Cette lettre de Maïakovski a été écrite durant un séjour à Paris en automne 1928. Le camarade Taras Kostrov (Aleksandr Sergeevich Martynovskiy) était le rédacteur en chef de "Komsomolskaïa Pravda" et il serait mort en 1927-1928. Cette lettre ne ne se limite pas à une déclaration d’amour, Maïakovski va plus loin, en montrant une relation amoureuse avec un sens du processus créatif. On pense que Le poète fait référence ici à Tatiana Yakovleva [1], nièce d’Alexandre Iacovleff sur laquelle il a écrit un autre poème, Lettre à Tatiana Yakovleva (Письмо Татьяне Яковлевой, 1928).

Pardonnez-moi donc camarade Kostrov,
avec votre largeur d’esprit,
d’avoir dissipé en lyrisme des strophes,
qui m’étaient allouées pour Paris.
 
Regardez, la belle qui fait son entrée,
parée de fourrures et perles,
c’est d’elle que je m’étais aussitôt emparé :
Fallait-il ou pas lui parler ?
 
Camarade, j’arrive de 1’U.R.S.S,
on me connaît dans ma patrie.
J’ai vu des filles de plus d’allure,
j’ai vu des filles de plus d’esprit.
 
Les poètes sont chers aux femmes,
avec ça j’ai de l’astuce,
et pour peu qu’elles prètent l’oreille
je leur conte des merveilles.
 
Je ne mords pas à l’ordure,
à l’appât de basses fredaines.
 
Eternel blessé d’amour
c’est à peine si je me trahie.
 
Fausses mesures d’amour, les noces,
- s’évapore qui se déprend -
camarade, quant aux cloches
je m’en moque éperdument.
 
Mais tout ça c’est des vétilles,
j’ai ri bien assez,
je n’ai plus vingt ans, ma fille,
mais trente ans passés.
 
L’amour ce n’est pas se promener bouillant,
ce n’est pas du charbon l’ardente brûlure,
mais c’est ce qui monte des monts des poitrines
plus haut que la jungle des chevelures.
 
Aimer, c’est courir au fond de la cour,
et jusqu’au soir des vers luisants.
briller de la hache, casser des tronas,
jouant de sa propre puissance.
 
Aimer, c’est des draps en loques d’insomnies
s’arracher, jaloux de Copernic,
lui, et non le mari d’une Marie,
étant le rival maudit.
 
L’amour n’est pas paradis délicieux,
l’amour c’est quand cela souffle en vous
et que du cœur le moteur rouillé
se remette en marche, à nouveau.
 
De Moscou vous êtes coupée
lieux et temps aidant,
comment puis-je vous expliquer
cet étrange état ?
 
De la terre au ciel, les feux,
dans le ciel, les astres en nombres.
Si je ne m’étais fait poète,
je serais un astronome.
 
La ville mène un train d’enfer,
moi, je me promène,
sur les pages de mon carnet
j’écris des poèmes.
 
Les autos courent les chaussées,
mais elles me ménagent,
les futées savent ce que c’est,
qu’un homme en extase.
 
Jusqu’aux bords je suis plein,
- rêves, apparitions, -
il en pousserait des ailes,
même à un ourson.
 
Alors, dans quelque infâme bistrot,
enfin, la bouillie est prête,
de la gorge aux étoiles fuse le mot,
naissance dorée d’une comète !
 
Sur un tiers du ciel s’étale sa queue,
ses plumes flambent, se dressent,
pour qu’à deux amoureux la voie lactée
dans les branches des lilas apparaisse.
 
Pour entraîner, soulever, guider
ceux dont la vue se délabre,
pour trancher les têtes d’ennemis hideux
d’une queue luisante de comète.
 
L’attente dans chaque battement du cœur,
à mon rendez-vous sempiternel,
j’attend qu’enfin reprenne sa rumeur,
l’amour humain, simple et éternel.
 
La tempête, le feu, et l’eau
assiègent la forteresse.
Qui saurait en mater l’assaut ?
Vous ? Ça m’intéresse ! ...
 
 

*

* *
 
Простите
меня,
 
товарищ Костров,
с присущей
душевной ширью,
что часть
на Париж отпущенных строф
на лирику
я
 
растранжирю.
Представьте :
входит
 
красавица в зал,
в меха
и бусы оправленная.
Я
эту красавицу взял
 
и сказал :
-- правильно сказал
или неправильно ?—
Я, товарищ,—
из России,
знаменит в своей стране я,
я видал
девиц красивей,
я видал
девиц стройнее.
Девушкам
поэты любы.
Я ж умен
и голосист,
заговариваю зубы —
только
слушать согласись.
Не поймать
меня
 
на дряни,
на прохожей
паре чувств.
Я ж
навек
 
любовью ранен —
еле-еле волочусь.
Мне
любовь
 
не свадьбой мерить :
разлюбила —
уплыла.
Мне, товарищ,
в высшей мере
наплевать
на купола.
Что ж в подробности вдаваться,
шутки бросьте-ка,
мне ж, красавица,
не двадцать,—
тридцать…
с хвостиком.
Любовь
не в том,
 
чтоб кипеть крутей,
не в том,
что жгут угольями,
а в том,
что встает за горами грудей
над
волосами-джунглями.
Любить —
это значит :
 
в глубь двора
вбежать
и до ночи грачьей,
блестя топором,
рубить дрова,
силой
своей
 
играючи.
Любить —
это с простынь,
 
бессонницей
 
рваных,
срываться,
ревнуя к Копернику,
его,
а не мужа Марьи Иванны,
считая
своим
 
соперником.
Нам
любовь
 
не рай да кущи,
нам
любовь
 
гудит про то,
что опять
в работу пущен
сердца
выстывший мотор.
Вы
к Москве
 
порвали нить.
Годы —
расстояние.
Как бы
вам бы
 
объяснить
это состояние ?
На земле
огней — до неба…
В синем небе
звезд —
 
до черта.
Если бы я
поэтом не был,
я б
стал бы
 
звездочетом.
Подымает площадь шум,
экипажи движутся,
я хожу,
стишки пишу
в записную книжицу.
Мчат
авто
 
по улице,
а не свалят наземь.
Понимают
умницы :
человек —
в экстазе.
Сонм видений
и идей
полон
до крышки.
Тут бы
и у медведей
выросли бы крылышки.
И вот
с какой-то
 
грошовой столовой,
когда
докипело это,
из зева
до звезд
 
взвивается слово
золоторожденной кометой.
Распластан
хвост
 
небесам на треть,
блестит
и горит оперенье его,
чтоб двум влюбленным
на звезды смотреть
из ихней
беседки сиреневой.
Чтоб подымать,
и вести,
 
и влечь,
которые глазом ослабли.
Чтоб вражьи
головы
 
спиливать с плеч
хвостатой
сияющей саблей.
Себя
до последнего стука в груди,
как на свиданье,
простаивая.
прислушиваюсь :
любовь загудит —
человеческая,
простая.
Ураган,
огонь,
 
вода
подступают в ропоте.
Кто
сумеет совладать ?
Можете ?
Попробуйте…
 
1928 год

P.-S.

Titre original : Письмо товарищу Кострову из Парижа о сущности любви

Bibliographie

À pleine voix : anthologie poétique 1915-1930, traduction Christian David, Gallimard, « Poésie », 2005.

Écoutez : si on allume les étoiles..., poésies choisies et traduites par Simone Pirez, Francis Combes, Pantin, Temps des cerises, 2005.

Anthologie, trad. Claude Frioux, Paris, Textuel, " L’œil du poète ", 2004, nouv. éd.

Le petit cheval de feu [1927], trad. Odile Belkeddar, ill. Flavio Costantini, Éd. Des Lires, 2003

Nuage en pantalon, suivi de Écoutez !, Une viole un peu nerveuse, et de Flûte en colonne vertébrale, L’Isle-Adam, Saint-Mont, 2001.

Le nuage en pantalon : tétraptique, trad. Vladimir Berelowitch, Paris, Mille et une nuits, « La petite collection « , 1998.

Vers : 1912-1930, éd. et trad. Claude Frioux, Paris, L’Harmattan, « Poètes des cinq continents » , 2001

Crédits photographiques : Alexander Rodchenko, 1924

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