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La question de l’unité entre physique et philosophie 

lundi 22 février 2016, par Jean-Jacques Micalef

La science est née avec l’invention de l’outil et au siècle de l’atome et du numérique, elle n’a pas changé de nature quant à sa méthode et son but : comprendre, transformer et s’approprier la nature. [1]


Il n’y a d’ailleurs pas de spécificité quant à « l’esprit scientifique » ni de méthode particulière — hors l’usage des mathématiques — qui consiste à élaborer des hypothèses, à les vérifier et à capitaliser les expériences dans un savoir qui n’a cessé de croître. La science s’est simplement développée et a cru en puissance et en extension à partir de ce germe pour devenir une entreprise de recherche spécialisée. Mais il n’y a rien là de très surprenant puisque le rapport à la nature sur le mode de son exploitation est le propre de toutes les espèces vivantes à des fins de survie et de prolifération. Dès lors, puisque déjà livrée au travail de l’homme, il fallait s’attendre à ce que cette nature soit désacralisée, et qu’au lieu d’être commandée par des forces magiques on y découvrît des lois rationnelles.

Le coup d’envoi a été donné par les penseurs présocratiques qui démythifièrent cette nature en la décomposant en ses quatre éléments fondamentaux (eau, feu, terre, ciel). La naissance de la philosophie a correspondu à ce mouvement de perte de sens des dieux au profit de la raison méthodique et n’a cessé depuis d’être un long processus de laïcisation de l’espace du savoir.

— I —

Aristote peut être considéré comme le premier et dernier grand penseur de l’unité entre science et philosophie. Il eut comme successeur Descartes, dont l’œuvre philosophique l’emporte sur ses travaux mathématiques. Notons également Leibniz, mathématicien mais aussi philosophe, et ses apports en cosmologie. Car déjà la coupure s’était instaurée avec Galilée, Copernic et Newton notamment, qui inauguraient l’ère du scientifique spécialisé et la répartition du domaine de la science en disciplines. Bacon pour sa part avait systématisé la pratique commune (hypothèse/expérimentation/vérification) sous le nom de méthode scientifique.

Kant viendra consacrer cette séparation en posant la distinction entre science et métaphysique, entre le champ du savoir expérimental vérifiable et celui plus aléatoire et soumis à l’opinion de la métaphysique. Il s’agissait d’établir une assignation des limites à l’entendement humain ; Kant (Préface à la 1ere édition de la Critique de la raison pure) va établir une ligne de partage entre ce qui est accessible à la raison humaine et ce qui la dépasse, permettant ainsi de distinguer la science d’une part, et ce qui relève de la croyance (c’est-à-dire de la spéculation) d’autre part. Bergson, pour l’époque contemporaine, fut le seul à tenter de dialoguer d’égal à égal avec la biologie — et on se souvient de sa critique de la relativité d’Einstein [2].

Depuis lors — dirait Heidegger — la science ne pense plus, ne veut plus penser et laisse le domaine des élucubrations métaphysiques aux philosophes pour se consacrer à la « paillasse », au solide concret et possède de plus le sésame absolu qui ouvre toutes les portes de la vérité : les mathématiques. Le seul domaine laissé en pâture aux philosophes est l’histoire des sciences et l’épistémologie. Celle-ci consiste en une position de surplomb mais externe aux sciences, dont elle conforte a posteriori quelques règles de validation des expériences comme le principe de réfutabilité de Karl Poppers — dont les tenants du big bang se moquent ouvertement [3].
On notera dans la lignée kantienne la tentative des philosophes analytiques (Russell, Frege, Wittgenstein notamment) d’imposer les règles de la logique formelle au langage métaphysique auquel ils reprochent le manque de rigueur scientifique.

— II —

Le retrait du philosophe de la science résulte contradictoirement d’un sentiment d’humilité et de grandeur. Humilité, puisque ne disposant pas de la formation exigeante pour intervenir de plain pied dans le champ de la science. Grandeur, puisque spécialiste de l’universel, la science lui apparaît comme une pratique empirique dont on contrôlera seulement les dérèglements par un positionnement sur l’éthique. On constate aussi une certaine méprise enfin car le philosophe se laisse illusionner par le rôle des mathématiques et de l’expérimentation présentées comme preuves irréfutables.

Comment retrouver l’unité perdue entre science et philosophie et nous entre cette dernière et la physique ? C’est que, contrairement à Bachelard, il n’y a pas de spécificité de « l’esprit scientifique » dont les catégories et la logique relèvent toutes de la raison commune. En particulier, la totalité des concepts en usage sont formulés rationnellement, la mathématique servant simplement à formaliser a posteriori une hypothèse rationnelle, quant aux résultats ils doivent toujours être traduits dans le langage de la raison.

La mathématique et la physique doivent ainsi user des représentations mentales de l’espace, du temps, des notions de distance, d’énergie, de masse, de poids, etc. On doit procéder, avant tout travail de recherche et de calcul, à la définition stricte des concepts dont on a puisé dans le réel commun la représentation.

L’indépendance de la science et particulièrement de la physique est donc totalement illusoire, elle doit rendre compte à « l’extérieur » de l’usage et du traitement de ce savoir emprunté à l’expérience de toute une humanité historique. C’est ainsi que nous devons attirer l’attention sur l’imperfection des notions de vide, d’énergie, de mouvement, d’inertie, sur l’absence de définition de ce qu’est un objet physique, nécessaire avant toute expérimentation ou élaboration mathématique. Nous devons également dénoncer l’aporie radicale à laquelle aboutit un raisonnement destiné à extraire la totalité de la matière à partir d’un néant (hypothèse du big bang) et montrer l’insuffisance de la relativité quant à son traitement de l’espace, du mouvement, de l’origine d’une vitesse limite, etc.

— III —

En définitive, l’unité entre la physique et la philosophie existe dans les faits puisque la base de cette science relève de concepts rationnels dont la définition peut faire l’objet d’une élaboration commune entre savants et philosophes.

La philosophie, comme activité de synthèse de tous les savoirs, est par essence le lieu de rencontre et de dialogue entre toutes les disciplines et hors de laquelle chacune est portée à dériver, sans contrôle externe, enfermée dans une logique ésotérique, source de tous les dérèglements — dont la physique est à ce titre exemplaire. Il ne s’agit pas pour autant d’ériger la philosophie en discipline dominatrice et totalitaire, mais de référer l’assise fondatrice de chaque science particulière à une instance universelle d’où elles tirent leur légitimité et la possibilité d’un exercice libre de leur activité de recherche.

Notes

[1La science actuelle n’est pas comparable à la plus simple des techniques mais son germe était contenu dans l’outil. La science ne fait que prolonger le geste inaugural que fut la maîtrise de l’outil. Elle s’inscrit dans la même finalité : la conquête de l’étant à des fins de survie et de prolifération de l’espèce. Quelle différence entre l’usage de la hache pour couper du bois de chauffage et la fission de l’atome pour produire de l’énergie ? La finalité est la même mais c’est l’échelle des moyens mis en œuvre qui diffère.

[2Le débat entre Einstein et Bergson le 6 avril 1922 s’est très mal passé. Einstein a dit que Bergson ne comprenait rien à la physique. Bergson, quant à lui, voyait chez Einstein une philosophie, et même une métaphysique, dont l’élaboration laissait à désirer.

[3Une affirmation est dite réfutable s’il est possible de consigner une observation ou de mener une expérience qui, si elle était positive, entrerait en contradiction avec cette affirmation . Or il est impossible de mettre en place une expérience quelconque pour réfuter le big bang...

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