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La distance x - sur une photographie de Rocco Rorandelli 

vendredi 5 juillet 2013, par Olivia Cham

© Rocco Rorandelli, TerraProject & PictureTank

C’est le photographe qui l’a laissée... Sur cette radio-là, on peut écouter les stations internationales, les émissions du monde entier. Il disait : « faire du DX ». « DX » comme « distance x » ; « chercher les DX » : réceptionner les stations lointaines, à une distance inconnue, x.


En fait, il avait atterri ici grâce à cette radio. Une nuit, seul dans son lit, alors qu’il était à la recherche d’une voix humaine sur les ondes courtes, il était tombé sur un bulletin d’informations qui parlait du puits que nous étions en train de creuser, des projets du Gouvernement, et il avait eu envie de venir voir.


Il disait que c’était elle qui l’avait fait venir, qui lui avait permis de vivre cette expérience extraordinaire, et qu’en nous la léguant, il ne faisait que la remettre à sa place.


Un soir, après le feu de camp, il m’avait proposé d’essayer. Tous les autres avaient fini par aller se coucher. Moi aussi, j’avais sommeil, à force de casser des cailloux toute la journée, mais il avait insisté : « Tu verras, tu ne le regretteras pas ! »


La petite carte du monde, bleue sur la face avant, permet de vérifier les fuseaux horaires. Le DX marche en TU : temps universel. Du pouce, on tourne la grosse molette des fréquences, sur le côté à droite, pour ajuster le curseur sur les stations. Il faut tourner très doucement pour ne rien perdre. Parfois, il suffit d’attendre un peu, et le grésillement de sable se transforme tout d’un coup en mots. Mais il faut des heures pour explorer chaque bande de fréquences. On avait écouté une émission consacrée aux économies d’eau, sur Radio-Beijing. « Le DX, c’est surtout bien la nuit », disait-il.


Il venait du Nord, d’un pays de neige. Et il faisait lui-même de la radio, « avec ça tu pourras m’entendre », m’avait-il dit en partant.


Quelques jours après son départ, alors que je commençais juste à m’habituer à ne plus dormir, la radio est restée muette quand je l’ai allumée. Je n’y croyais pas, mais c’était bête à pleurer : les piles. Il en fallait six, alors autant dire... Elle resterait au milieu des cailloux, pour sa peine, offrande inutile au ciel infiniment bleu, à l’infini des x, à distance x du monde, à distance x du rêve et des stationsx où l’eau coule tant qu’on peut arriver à la gaspiller, où l’on peut passer ses nuits à chercher tous les x possibles sans craindre la panne, confortablement branché sur le secteur... Ou alors… Et s’il suffisait de trouver la bonne DX à laquelle l’appareil pourrait m’emporter, moi aussi ?… Choisir la destination sur le planisphère, pointer l’antenne dans la bonne direction, décoller… Un peu de patience, et je pourrai voir la neige.


Ceci n’est pas une radio, mais un tapis volant.

P.-S.

Photographie : © Rocco Rorandelli, TerraProject & PictureTank

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