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La Chasse spirituelle dans les éditions de la correspondance de Verlaine et de Rimbaud 

samedi 26 septembre 2009, par Jacques Bienvenu

Après la publication de la remarquable édition de la correspondance de Verlaine par Michaël Pakenham, je donnais, dans La Revue Verlaine n° 10 éditée en 2007, un article intitulé : « La Chasse spirituelle dans la correspondance de Verlaine ». Il s’agissait de rectifier une importante erreur de date concernant une lettre de Verlaine à Edmond Lepelletier.

Voici à quelques détails près ce que j’y exposais :

Dans le N°8 (oct.-dec.2001) de la revue Histoires littéraires était publiée sous la signature commune de Jean-Jacques Lefrère, Michaël Pakenham, Michel Pierssens, une lettre connue, mais dont le texte complet était inédit, de Verlaine à Philippe Burty mentionnant la mythique Chasse spirituelle. Verlaine y écrivait qu’il venait d’apprendre le jour même par sa mère l’existence de lettres compromettantes de Rimbaud que Mathilde Verlaine avait découvertes dans le bureau de son mari. Or, les termes employés par Verlaine étaient singuliers : il expliquait que les lettres n’étaient autres que les pages d’un manuscrit intitulé La Chasse spirituelle, manuscrit qu’on demanda à Madame Rimbaud de récupérer. J’ai alors émis l’hypothèse que Verlaine avait inventé le manuscrit pour tenter de récupérer les lettres. J’ai longuement exposé mes arguments dans l’article : « Les vrais faussaires de La Chasse spirituelle », Parade sauvage n°19, décembre 2003,p.91).Cet article a été publié par La Revue des ressources le 17 septembre 2009.

Toutefois, pour que mon hypothèse soit recevable, il fallait absolument que la liste dressée par Verlaine en 1872 pour récupérer ses affaires et documents et qui mentionnait La Chasse spirituelle ait été envoyée par Verlaine après le quinze novembre. Pourquoi ? Si comme je le pense Verlaine a inventé le manuscrit après la lettre de sa mère du 15 novembre, alors ma thèse s’écroulerait si la liste mentionnant La Chasse avait été envoyée avant le 15 novembre. Conscient de cette difficulté j’avais écrit à Michaël Pakenham pour lui demander son avis sur la date possible de l’envoi de la liste. Il me répondit aimablement et j’insérais pour le remercier la note suivante dans mon article :

J’avais la conviction que cette lettre de Verlaine à sa mère contenant la liste avait été envoyée à la mi-novembre, or Michaël Pakenham, qui termine l’édition de la correspondance de Verlaine, et que j’ai consulté à ce propos à bien voulu répondre à cette question, et il me confirme que c’est bien vers cette date qu’il faut situer cette lettre. Je le remercie, ici, pour sa précieuse collaboration.

Lorsque j’ai publié mon article la correspondance de Verlaine n’avait pas encore été éditée par Michaël Pakenham. Mais lorsque celle-ci parut j’observais que M. Pakenham avait placé avant le 15 novembre l’envoi de la fameuse liste de Verlaine. Examinons d’abord la situation avec précision car dans cette histoire les plus petits détails ont leur importance. La lettre 72-23 datée du Vendredi 6 novembre est immédiatement suivie par la liste Verlaine et seuls trois astérisques les séparent. M. Pakenham dit bien que la liste a été transmise par Madame Verlaine à Lepelletier mais comme il ne donne aucune précision sur la date de cette lettre, tout laisse penser que la date du 6 novembre est à retenir. La lettre 72-23 est suivie par la 72 -24 qui est datée du 10 novembre. Ceci prouve bien selon M. Pakenham que la liste a été envoyée par Verlaine avant le 15 novembre 1872.

Je me permets de contester la manière dont M. Pakenham a placé sa liste. Le premier point est non des moindres est que la date donnée par M.Pakenham pour la lettre 72- 23 est fausse. C’est le vendredi 8 novembre que la lettre a été envoyée et non le 6. Le vendredi 6 novembre n’existe pas en 1872. En revanche on est sûr que c’est un vendredi car Verlaine dit dans la lettre 72-23 : « Je profiterai de l’horrible loisir de dimanche (après demain) pour lui porter ta lettre. ». Le jour est donc le vendredi et il s’agit du vendredi 8 novembre 1872 comme le prouve le calendrier de l’époque ou La Renaissance littéraire et artistique de 1872 bien connue de M. Pakenham. D’ailleurs M. Pakenham lui-même mentionne la bonne date du vendredi 8 novembre à la note 9 de la page 27.

On en arrive donc à la situation suivante. La liste Verlaine serait située entre le vendredi 8 novembre et le dimanche 10 novembre. Or rien ne permet de faire une telle supposition, bien au contraire. Dans la lettre du vendredi 8 novembre Verlaine dit : « Je vais m’occuper de récupérer mes bibelots ». Donc il ne l’a pas encore fait. La seule autre indication que nous ayons sur l’envoi de la liste est celle-ci : dans la lettre 72-31 datée : fin novembre–début décembre Verlaine écrit : « Ma mère t’a remis la liste des bibelots qu’ils me gardent » et il donne un supplément à la liste. Ceci prouve simplement que la liste a été envoyée à sa mère avant la fin novembre. Il est permis de penser d’ailleurs que le supplément à la liste ne doit pas être éloigné de l’envoi de la première liste. Quoi qu’il en soit on ne peut exclure la possibilité que celle-ci ait été envoyée après le 15 novembre contrairement à ce que laisse entendre la correspondance de Verlaine.

Si j’attache de l’importance à mon hypothèse, c’est surtout pour la raison suivante : dans la liste, Verlaine mentionne que les lettres de Rimbaud contiennent des poèmes en prose. Si mon hypothèse est juste Verlaine précise cela pour donner le change entre les manuscrits et les lettres. Or cela remet en cause l’existence de ces poèmes en prose en 1872, argument toujours évoqué pour le problème de la datation des Illuminations. J’ajoute, et je ne l’avais pas assez bien montré dans mon article antérieur, que les poèmes en prose mentionnés par Verlaine sont insérés dans les lettres de Rimbaud, c’est-à-dire qu’ils auraient été écrits au printemps 72 par Rimbaud, donc à la même période où furent écrits les poèmes en vers de 1872. On sait que Rimbaud distribuera généreusement ces poèmes bien datés à ses amis et que dans le même temps on ne trouve aucune trace d’un quelconque manuscrit de poème en prose offert à cette époque à ces mêmes amis. De plus, il faut admettre qu’on aurait un corpus comprenant La Chasse spirituelle et des poèmes en prose qui ne seraient pas mentionnés dans « Alchimie du verbe » qui retrace pourtant le parcours poétique du poète à cette époque. Cela ne semble pas cohérent.

Je pensais avoir fait une mise au point définitive concernant la date de cette lettre, mais ce n’était pas fini ! En octobre 2007 Jean-Jacques Lefrère publiait la correspondance de Rimbaud dans laquelle il insérait des lettres d’autres correspondants. Notamment on le voit donner un extrait de la lettre de Verlaine à Lepelletier du 8 novembre qui nous intéresse. M. Lefrère qui ne peut maintenir la date impossible du vendredi 6 novembre donnée par M. Pakenham la corrige en mercredi 6 novembre... C’est-à-dire qu’il recule volontairement la lettre, contre toute vérité, puisque Verlaine précise dans sa lettre que dimanche est « après demain » !! La lettre adressée à Lepelletier avait d’ailleurs été correctement datée dans l’ancienne correspondance de M. Van Bever. Je me pose une question. Messieurs Lefrère et Pakenham n’ont pas jugé utile de signaler mon hypothèse, soit. Mais on sait par M. Murphy que Jean-Jacques Lefrère voulait développer ma thèse et je le félicite d’y avoir pensé (cf : Stratégies de Rimbaud, p.428, n.12, Champion, 2004). Pourquoi M. Lefrère n’a t-il pas été jusqu’au bout et a-t-il abandonné cette belle idée ? Pourquoi a-t-il qualifié ma thèse de « thèse imbécile » dans la Quinzaine littéraire ? (Voir mon droit de réponse à son article publié par La Revue des ressources le 19 septembre 2009) Est-ce une coïncidence si les cosignataires de la publication de la lettre de Verlaine à Burty qui révélait la mystification de Verlaine ont fait tous les deux une curieuse « erreur » de date concernant une lettre capitale de ma démonstration ? Qui sont les vrais faussaires ?

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