La Revue des Ressources
Accueil > Création > Poésie > Enjambée bleue

Enjambée bleue 

(Extraits)

décembre 2002, par Michel Pérelle (1947-1996) (Date de rédaction antérieure : mai 1995).

*

ondoyante imperceptiblement

au cri du soleil fixe

longue courbe pâle

aspire expire l’intemporel

promesse bleue

au plan de nature verte

vibrante offerte

adorable

*

calme remarquable

surtout ne pas aller

au bord de la mer

travailler

oui c’est ça travailler

comme ça

à blanc

dans la vacance

*

quelle puissance romantique

on a les yeux mouillés

de tendres émotions

dit blanche à califourchon

sur les colonnes de buren

sur son corps me mouler

béat bébé fleur bleue

*

anouk me ravissait

rien que pour effleurer ses lèvres

je vendais des glaces multicolores

rien que pour la voir nue

j’achetais une lunette astronomique

rien que pour entendre sa voix

je me cachais dans le manteau de sa cheminée

et rien que pour incendier son coeur

j’attisais le bleu des flammes

*

suada s’épile au caramel

être poilu n’est pas un vrai problème

s’épiler n’est pas nouveau non plus

marmonnai-je dans ma barbe

*

j’aurais voulu connaître

les secrets des jeunes filles

le soir dans les dancings

des barrières de paris

mais je n’ai connu qu’elle

mon improbable amour

au bar bleu de venise

elle avait juste quinze ans

ce serait prodige étonnant

le jour fraîchit le jour s’éteint

qu’elle ressente cette nuit

cette nuit étoilée

ma tête lourde sur ses seins

*

le dos-bleu au monocle

demanda à la postière nubile

une chaise pour s’asseoir

la demoiselle des postes

rêvait d’un perfecto

d’une cadillac rose

de santiags en croco

alors en ni une ni deux

décidée à faire contre bonne fortune

un haut-le-coeur

elle saisit les cactus

et les aima

la néva recommencée

plus de dents petite mère

*

bonne anna

n’est bonne sans thé

je suis ébouillanté

dans son samovar d’or

elle m’offre un collier d’ambre

virevolte et s’évanouit

dans un miroir bleu nuit

*

dix minutes dix minutes

je l’ai follement aimée

c’était l’été elle avait dix-huit ans

vêtue à peine d’une robe à pois grisette

elle se roulait dans un carré d’herbes bleues

je la prends par la taille elle éclate de rire

aussitôt je m’installe à l’arrière de son vélosolex

nous avons remonté la rue gay-lussac

descendu en trombe le boulevard saint-michel

depuis si je vous dis

qu’alors que je ne l’aime plus

je l’aime encore

tant qu’aultre n’est fors elle a mes yeux belle

me croirez-vous sur parole

*

un jour elle m’a dit

j’ai envie de t’étrangler

un autre jour

elle m’appelle mon bijou

pourtant il me semble

que je suis toujours aussi délicat

retire ta culotte bleue

que je vois ta touffe

avant de m’endormir

aurais-je dit sans le vouloir

*

chevelure châtain mouillée et collée

je porte d’épaisses lunettes de soleil

imitation écaille de tortue

mes lèvres roses enserrent un gros cigare

succédané de havane

sur une table blanche on voit un grand verre

d’ersatz de jus d’orange

la mer est bleu kodak

j’ai dix-sept ans

la photo est floue

*

si les vives rondeurs

comme une adolescente

échappent à ses charnières

comme à ses panneaux blancs

ô qu’elle lui laisse au moins

porter ses vêtements

jouer avec ses rêves

la protéger du vent

et si une nuit étoilée

elle daigne le déplier

il s’illuminera

de mille et une étoiles

*

les sapins ruissellent de lumière noire

la bière coule à flots

aussi à la blancheur de l’aube

les mains rougies des pépiniéristes

un monde proche continue

d’une présence muette éteinte

pourquoi tu pleures chloé

dis pourquoi tu pleures

puisque le ciel est bleu

*

glissant des draps bleus

avant le lever du soleil

claudie s’en va cueillir

des fleurs de molène

quand je me réveille

sa culotte sèche

sur le poêle en faïence

le chien fume

il y a une tasse de bouillon-blanc

sur la table de nuit

*

je me cogne contre sa porte

et elle se tient dos à la montagne

sans être à elle adossée

le bleu au front

viens parle anglais

dis moi je t’aime

comme à un inconnu

qui aurait de l’encre sur les doigts

*

ardente coïmbraise

vive comme une voile

elle aime les carreaux de faïence

les échelles des bibliothèques

les reliures dorées au fer

quand la chèvre bêla

brûle mes rubans bleus

murmura fernanda

gravement fermant les yeux

*

elle était pipière à Soho

de bruyère ou d’écume à coeur

le point rouge de son fourneau

aussi vaillant qu’un remorqueur

en volutes bleues culottées

on se pressait dans son réduit

pour voir à la gouge creuser

tailler des pipes virginy

blague à tabac et pipe en terre

si ces vers sont de poésie

mieux ferais-je rouler du gris

en fumer quitter l’engleterre

*

des bleuets des lis des coquelicots

peints sur un clavecin de salon

tu as bu ce sont des anges

me dit carlotta

le château est vide

l’aube va bien paraître pourtant

le coq chanter

s’ouvrir les fleurs

*

je ne tiens pas debout sur mes jambes

tu as les cuisses dures comme du béton

ton sexe est puissant comme un étau

le mien haut bas fragile

tu ris de ma faiblesse

tu dis je ne veux pas d’homme dans ma vie

vois monstre adoré si je suis un homme

si délicat si tremblant tout juste une feuille

ne peux-tu glisser dans un livre

dont tes doigts enchantés

auraient tourné les pages

et me laisser bleuir

comme du papier de tournesol

*

le lit de lam

grince sous le lai de lou

grincent les girouettes

et les portes bleues des prisons

le lit de lam

grince sous le lai de lou

crissent les dentelles des mulâtresses

et l’on entend à peine les tambours

*

ondoyante imperceptiblement

aux cris du soleil fixe

posée obligatoire

de la civilisation

marque frémissante

au plan de nature froide

longue courbe pâle

aspire expire l’intemporel

éclatante bleue

au déclic objectif

vivante offerte

adorable

*

superbe mésange

postée dans le sorbier

effrayée d’un chat bleu

admirable sur l’asphalte

ignorante du geai

dévorant sa couvée

un diamant de rosée

irise sa tête noire

*

sourd à l’averse

qui inonde les cendres du renne

insensible au danger de la forêt

son idée étant que la planche

soit de longueur égale

à la grossière toile bleue

qui lui servira de linceul

alors bercé par les filles de mana

il attendra le traîneau du grand vieillard

si douce est la main

qui ferme la bouche

si douche est la flèche qui tue

comme le frôlement du soleil

*

étourdie de théâtre

revenant à cheval

cri de joie

dans le bleu d’une flache

claire aux mains si fines

a trouvé un diamant

qui brille de l’éclat

des amours enfantines

*

cette voix d’outre-tombe

uniforme des distances

c’est l’aube

éternelle ouverte

où tu transparais sans âge

étrange désirable

je te bois comme un miel

qui prolonge ma vie

je hoquette je bleuis

je veux te faire l’amour

*

vite un saut périlleux dans le chaud labyrinthe

de son vaste atelier jardin de ses désirs

soleil à la croisée enivrantes odeurs

une femme se devine un oiseau bleu s’envole

fadia dans les embruns les appels de la mertoit pour toi

l’hirondelle

*

la montagne bleuit à son faîte

charlotte se réveille

se frotte le dos

se lève les lèvres

descend la vallée

viens dis moi je t’aime

comme à un inconnu

qui aurait de l’encre sur les doigts

*

imela boudeuse

s’assoit sur le capot

d’une automobile criblée de balles

elle pose très bien

elle pense que la vraie vie est ailleurs

elle a dix-sept ans

dans sa commode

des blue-jeans des t-shirts

sur son balcon

des carottes des tomates

*

les philosophes

parlent du consensus

de jeux de langage

d’art de l’entente

mais mon amour est mort

d’errer dans la lumière

au fil des poèmes

épuisé dans le bleu

*

la pensée s’agenouille

la pensée se relève

la pensée est pensée

et l’amour est la mort

la pensée et l’amour

la tortue éphémère

la libellule lente

l’espace et l’infini

*

homme terrible

vérité de la corne

habit de sueur

sang de lumière

quand il meurt

dans le silence de l’hôpital

la lune est bleue

aux deux pointes semblables

*

toi et moi l’avons toujours su

dans le dépli du bleu

la poésie est admissible

il nous plait de confondre

toutes les couleurs en une

on aurait pu l’appeler rire pleur

ou feuille ou rouge ou fleur

tout autre nom de couleur que l’on aurait reconnu

*

dans l’enjambée poétique

insistance de bleu

les mots s’effacent

la couleur reste

les nuances s’éprennent

du silence du dire

il est temps de se recueillir

P.-S.

© la revue des ressources : Sauf mention particulière | SPIP | Contact | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0 | La Revue des Ressources sur facebook & twitter