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Conte glacé de Noël à Paris 

lundi 30 décembre 2013, par Mohamed Kacimi

Certes il y a pire... Ce n’est pas La petite marchande d’allumettes. Il n’y a ni SDF ni mort d’homme. C’est une histoire populaire en 2013. Cela pourrait aussi bien se passer le lundi 30 ou le mardi 31 décembre. On appelle ce genre de conte un récit de documentaire fiction. Pas certain qu’il s’agisse de fiction mais plutôt d’une chose vue et entendue.

Conte glacé de Noël


Un grand vent du nord fouette, depuis ce matin, les lions de la place Daumesnil et soulève les bâches vertes du marché. Il pleut quelque chose de glacé sur Paris. Une foule se presse devant le poissonnier installé juste devant le LCL. Des monceaux d’huîtres, des meutes de saumon. La file est longue. Les gens semblent, signe des temps, préférer les bulots aux huîtres. Devant moi, un monsieur, d’un certain âge, attend son tour. Il a sûrement oublié ses lunettes, car il colle presque le nez sur l’étalage pour deviner le prix des choses. Quand arrive son tour, il hésite, puis finit par demander au poissonnier un litre de bulots, avant de changer d’avis :

— Les coquilles Saint-Jacques, elles sont à combien ?
— 18 euros les trois kilos
— Vous les décortiquez ?
— Bien sûr.
— Mettez moi trois kilos.

La poissonnier se saisit d’une poignée de coquilles, mais le monsieur l’arrête soudain :

— Excusez-moi, je vois les langoustines, là, à côté, elles sont à combien ?
— C’est pas pareil, monsieur. Elles sont à 29, 99 le Kilo.

Le monsieur réfléchit. Derrière, les gens commencent à râler. Mais lui semble ailleurs, il ne fait pas attention à la rumeur de la foule ni au vent glacé qui souffle de plus en plus fort sur la place Daumesnil.

— Alors, dit le poissonnier ?
— Allez, on fait la fête ou on la fait pas, mettez moi six langoustines.

Le poissonnier hésite, cette fois-ci à prendre les crustacés.

— Vous êtes sûr, vous ne voulez pas autre chose ?

Le Monsieur a l’air dubitatif, mais on lit sur son visage une grande joie :

— Et la langouste là, elle est à combien ?
— Là, monsieur, c’est du luxe, elles sont vivantes, mais c’est pas donné.
— C’est combien ?
— Elle est à 67 euros le kilo. C’est pour combien de personnes ?
— On est deux.
— Une suffira.

Le garçon prend la langouste, la pèse, la met dans un sac, et tend le ticket au monsieur :

— Une langouste pour deux, ça fera 78,75, Monsieur.

Le monsieur est d’un coup arraché à sa rêverie :

— Pourquoi pour deux ? je suis tout seul depuis longtemps.
— Monsieur, il y a des gens qui attendent, vous payez comment ?

Le monsieur, fouille ses poches, sort un portefeuille, le fouille, en tire un billet de 5 euros, juste de quoi payer son litre de bulots. Dans la file, les injures fusent, le poissonnier éructe :

— M..., c’est pas un jour pour se foutre de la gueule du monde.

Le monsieur a l’air désolé, il range son portefeuille, il marmonne quelques excuses puis laisse tomber :

— Déjà qu’on est pauvres ; si, en plus, on a même plus le droit de rêver...

M. K.

P.-S.

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