La Revue des Ressources
Accueil > Restitutio > Etrange XIXe siècle > Curieuses exécutions en Normandie au Moyen-Age (1892)

Curieuses exécutions en Normandie au Moyen-Age (1892) 

jeudi 16 février 2006, par Léon Braquehais

Au XIVe siècle il se passa dans la cité de Guillaume le Conquérant, un fait très curieux, qui est ainsi raconté par Frédéric Galeron, dans son Histoire de la Ville de Falaise (p. 83) :

« En 1386, une truie dévora le fils d’un manoeuvre de la ville, nommé Janet. Cet accident parvint à la connaissance du juge, qui condamna l’animal à subir publiquement la peine du talion. L’enfant avait eu le visage et un bras déchirés ; la truie fut mutilée de la même manière, et ensuite pendue par la main du bourreau. L’exécution se fit sur la place publique, en présence de tout le peuple ; le vicomte-juge y présidait à cheval, un plumet sur son chapeau et le poing sur le côté. Pour comble d’horreur, le père de la victime fut tenu d’assister à cette exécution ; on voulait le punir, dit l’historien de ce fait, pour n’avoir pas surveillé son enfant. Quand l’animal fut amené sur le lieu du supplice, il avait des vêtements d’homme, une veste, des hauts-de-chausse et des gants. On lui avait appliqué sur la tête un masque représentant une figure humaine. »

Galeron ajoute que cet événement parut si remarquable dans le temps qu’on en conserva le souvenir par une peinture murale qui se voyait encore, en 1820, dans l’église Sainte-Trinité de Falaise. L’abbé Langevin, qui a également vu cette curieuse peinture, la décrit ainsi dans ses Recherches historiques sur Falaise (Supplément, 1826, p. 12) :

« Ce trait singulier, dit-il, est peint à fresque sur le mur occidental de l’aile ou croisée méridionale de l’église Sainte-Trinité de Falaise. L’enfant précité et son frère sont représentés sur ce mur, proche l’escalier du clocher, couchés côte à côte, dans un berceau. Puis vers le milieu de ce mur, sont peints la potence, la truie habillée sous la forme humaine, que le bourreau pend, en présence du vicomte à cheval, un plumet à son chapeau, le poing sur le côté, regardant cette exécution. »

Depuis 1820, l’église Sainte-Trinité a été restaurée bien des fois, et cette peinture est actuellement complètement effacée, ainsi que nous l’avons constaté récemment, en visitant cet intéressant édifice, qui est classé au nombre des monuments historiques du Calvados.

L’événement bizarre dont nous nous occupons a été mentionné par Blondeau de Charnage (Dictionnaire des titres originaux, 1764), par Michel Beziers (Chronologie hist. des baillis et des gouverneurs de Caen, 1769), et par A. Brillon (Dict. de Jurisprudence, 1786). Ces auteurs affirment que ce fait eut lieu en 1396, mais c’est une erreur, ainsi que le prouve la quittance du bourreau de Falaise qui a pendu cette truie infanticide.

Cette quittance a été retrouvée en 1873, par M. Desnoireterres, qui l’a publiée aussitôt dans le Bulletin de la Société des Antiquaires de Normandie (t. VI, p. 309).

Voici une copie de ce document :

« Le IXe jour de janvier de l’an mil CCCIIIIXX et six, devant Girot de Montfort tabellion du roy nre pr à faloise fut présent maistre Nicole Morier bourrel [bourreau] de faloise qui congnut et confessa avoir eu et receu de hôme sage et pourveu Regnaut Rigaut vicomte de faloise par la main de Colin Gillain son lieutenant général la somme de dix soulz et dix deniers tournois c’est assavoir pour sa paine et salaire d’avoir traynée et puis pendue à la justice de faloise une truye de laage de trois ans ou environ qui estoit à un appelé Souvet le Macon de la paroisse de Laferté Macy [Macé] qui avait mangée le visage de l’enfant du dit Macon (qui estoit au bers et avoit daage trois mois ou environ) tellement que le dit enfant en mourut, XS t z [dix sols tournois] et pour un gans neuf quant il fist la dte execucon X d [dix deniers] de la quelle somme de XSX d [dix sols dix deniers tournois] dessus diz le dit bourrel se tint pour bien paie. »

Signé : GIROT DE M.

Au moyen-âge, dans la plupart des pays, quand une bête causait la mort d’un homme, dit notre savant maître, M. Léopold Delisle, administrateur général de la Bibliothèque Nationale (Etat de l’Agriculture en Normandie au moyen-âge), on avait coutume de lui faire un procès dans toutes les formes, et de la supplicier comme un criminel. M. Delisle ajoute avec raison que les Normands partagèrent cette erreur commune.

D’ailleurs, en parcourant les vieilles chroniques de notre province, nous trouvons encore plusieurs faits à l’appui de cette assertion.

En 1334, on condamna à la peine de mort une truie qui avait mangé un enfant, à Durval ; en 1349, un porc fut amené en prison pour avoir commis un crime semblable, et cette même année, on donna dix sous au bourreau de Louviers et à celui de Pont-de-l’Arche pour ardoir [brûler] deux porcs, qui avaient étranglé deux enfants. (Actes normands de la Chambre des Comptes. 1328-1350).

Le 3 juin 1356, le bourreau de Caen ne reçut que cinq sous « pour ardoir un porc qui avoit estranglé un enfant à Douvre » (Archives nationales).

En 1408, le géôlier des prisons de Pont-de-l’Arche donna quittance de 4 sous 2 deniers pour avoir nourri pendant 24 jours un porc qui avait muldry et tué un petit enfant et qui, en expiation de ce crime fut pendu à un des poteaux de la justice du Vaudreuil (Eure).

Ce fait a été relaté par Auguste Le Prevost (Archives de la Normandie, 1826, p. 331), et non dans la Chronique normande de Pierre Cochon ; comme le dit à tort M. Nicétas Périaux (Histoire sommaire et chronologique de la ville de Rouen, 1874, p. 164).

Dans ses Essais historiques sur la ville de Caen, l’abbé de la Rue rapporte qu’en 1480, un porc mangea un jeune enfant de la paroisse Saint-Gilles, et que les officiers de l’abbesse de Caen saisirent ce pourceau en demandant sa condamnation devant le sénéchal de l’abbaye ; mais le procureur du roi intervint, attaqua l’abbesse devant le grand bailli ; et soutenant que le délit avait été commis dans le ressort du bailliage, il réclama l’animal pour que son procès lui fut fait par la justice royale. L’abbesse ne gagna, continue l’abbé de la Rue, qu’en prouvant que déjà elle avait fait ardre, sur la place aux Campions, une fille qui avait tué un homme dans la maison même où le porc avait mangé l’enfant.

Enfin, à la date de 1499, on pendit « ung pourceau qui avoit mangé, le visage d’un enfant au bers ; appartenant à Jean Morin, fils de Guillaume Morin, de Fresne, à l’occasion duquel excès de violence le dit enfant estoit allé de vye à trépas. » Le receveur de Fresne-l’Archevêque (Eure) paya 34 sous pour l’exécution de cette sentence (Ch. de Beaurepaire, Etat des campagnes de la Haute-Normandie au moyen-âge, p, 420).

Nos anciennes coutumes, dit Houard (Dict. de Droit normand, l780, t. 1er, p. 72), permettaient de tuer les porcs et les chèvres trouvés en dommage et de se les approprier.

Au XIIe siècle, nos lois étaient beaucoup moins sévères, puisqu’en 1131, un porc se jeta entre les jambes d’un cheval monté par Philippe, fils de Louis le Gros, causa ainsi la chute mortelle de ce jeune prince, changea par suite l’ordre de succession au trône de France, et n’encourut pour ce méfait aucune punition.

Ce dernier fait a été omis par beaucoup d’historiens modernes, qui, vraisemblablement ont craint de souiller leur plume en écrivait le nom de l’animal coupable, mais on le trouve raconté par quelques uns de nos vieux auteurs tels que Jean de Serres et le père Anselme.

P.-S.

Extrait de la Normandie littéraire, mars 1892.

© la revue des ressources : Sauf mention particulière | SPIP | Contact | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0 | La Revue des Ressources sur facebook & twitter