La Revue des Ressources

Lâchez tout 

vendredi 7 mars 2003, par Michel P. Schmitt

Je me préoccupe ici de la position d’André Breton à un moment précis de sa trajectoire de poète-prophète annonciateur des ruptures. Il s’agit des années 1922-1924, entre la date du décès de Dada (1921) et celle de la lecture du Lénine de Trotsky (1925), qui le conduira progressivement à se frotter aux communistes. Je voudrais montrer que les principes d’une poésie de la vie qu’il énonce alors, se fondent sur la tension extrême d’une contradiction portant sur le sens même de cette vie. Tension dont Breton ne se défera jamais et qui reçoit sans doute son expression la plus claire dans " La Confession dédaigneuse " de 1924, texte repris dans Les Pas perdus. Quels qu’aient été les avatars de son mouvement (que je ne décris pas ici), c’est vers ces principes qu’il retournera toujours, de plus en plus nettement au fil des années jusqu’à sa mort en 1966.

Rompre, mais avec quoi ? Les textes de Breton sont d’un implicite lumineux. S’agit-il de rompre avec les clichés du vieux monde, la vieille bien-pensance des tabous et des interdits, le conformisme bourgeois ? Assurément, et le pamphlet Refus d’inhumer (1924) le dit suffisamment. Tout ce que l’Etat français, moins de vingt ans plus tard mettra dans sa devise - " Travail, Famille, Patrie " - est abhorré dans ces personnalités qui ont l’excellente idée de disparaître au même moment en 1923 et 1924 : Maurice Barrès, Anatole France et Pierre Loti. C’est la tradition anarchisante qui existe avant Breton et lui survivra, de l’anti-vieux et du goût pour le désordre. Sous des formes polémiques diverses (attaques ad homines, moqueries, chahuts…), elle a eu cours tout au long de l’histoire du mouvement surréaliste. De la revue Littérature aux graffitis de 1968, on trouve l’aliment d’une aversion pour les peine-à-joie et les rabat-jouir, les tyrans et les prêtres. Voilà qui est insuffisant cependant. Au détour de la moindre de ses phrases, c’est avec l’état des choses et les choses elles-mêmes que veut rompre Breton. La matière confondue avec l’impensé et la lourdeur de l’innommable. L’ennui. Rien n’intéresse Breton. Son intérêt ne s’éveille que lorsque apparaît le signe d’une rupture avec l’un ou l’autre des centres d’intérêt dans lesquels l’homme a bradé sa vie. L’existant comme forme falsifiée de l’être se perd dans le néant, aimerait-on dire si le vocabulaire de la phénoménologie n’était pas ici quelque peu déplacé.

Plutôt la vie que ces prismes sans épaisseur même si
les couleurs sont plus pures

Plutôt que cette heure toujours couverte que ces
terribles voitures de flammes froides

Que ces pierres blettes

Plutôt ce cœur à cran d’arrêt

Que cette mare aux murmures

Et que cette étoffe blanche qui chante à la fois dans
l’air et dans la terre
Que cette bénédiction nuptiale qui joint mon front à
celui de la vanité totale
Plutôt la vie […]
(1).

L’existant est pris dans le processus d’une permanente annulation. Ce que Breton appelle " la vie " est à l’opposé de ce que désigne le mot dans le rimbaldisme "changer la vie " dont Breton fera lui-même un mot d’ordre. Mais la contradiction est féconde ou plutôt fécondée : la vie n’est elle-même qu’en se niant, sans devenir pour autant la mort. Il faut vivre là où elle est " encore capable de provoquer la convulsion ou la conversion générale sans avoir recours à autre chose qu’à la reproduction des phénomènes naturels. " (2). La dialectique poétique explique que Breton soit pris dans ce moment impossible entre l’abandon d’un état antérieur (l’ennui) et le refus d’un nouvel état qui ne serait qu’un nouvel avatar de cet ennui.

Tant va la croyance à la vie, à ce que la vie a de plus précaire, la vie réelle s’entend, qu’à la fin cette croyance se perd. […] (3).

L’entreprise ne cherche rien moins qu’à aboutir à quoi que ce soit. Ses productions, d’ailleurs, sont plutôt pauvres au regard des critères habituels de l’esthétique littéraire. Les Champs magnétiques est pratiquement illisible, les poèmes de Mont-de-Piété (1919) supporteraient mal la comparaison avec ceux de ses inspirateurs, les textes de Poisson soluble n’ont aujourd’hui que valeur de témoignage. Nous touchons là à un piège dans lequel Breton s’est laissé enfermer. Ennemi de l’imposture littéraire, il donne le change en passant pour un littérateur, contestataire et paradoxal peut-être, récupérable néanmoins à l’occasion du premier mai 68 venu. En refusant d’inscrire quoi que ce soit dans la durée, il a pourtant composé des textes (des tissus) qui, comme tels se sont déployés dans une durée indéfiniment co-extensible à l’Histoire, alors même qu’ils avaient la vocation opposée. L’écriture automatique tend à la rupture avec le sens courant (logique, principe de non-contradiction, bon sens…), mais elle conserva l’ordre rassurant de la syntaxe, rassurant s’il en fût dans son ordonnancement des mondes. Ainsi mimait-elle la conjuration du silence de l’être, l’expérience du néant dans la disparition du sens, l’annulation du vieux monde de la pensée contre l’esprit, de la langue et des valeurs factices, pour dessiner une vraie réalité (une " surréalité "). Il lui suffisait de glaner les mots de l’automatisme psychique, de la folie ou de l’hypnose, du rêve ou des hasards du cadavre exquis. Mais l’activité de Breton apparaît plutôt comme une permanente redistribution. Le nihilisme de Dada ne lui correspondait guère, finalement. Seule le retient la recomposition du monde par l’infini des combinaisons de ses composantes sans nombre. La totale subjectivité de l’acte poétique qui taille le monde en pièces se confond avec l’universalité d’une adhésion à la vie totale. Il y faut quelque paradoxe. L’absolu de l’émotion érotique, pour se dire, passe par exemple par l’image d’un corps féminin nouveau, encore jamais caressé et dont on ne retient que le sexe et les seins (4). Mais tout est indéfiniment à recommencer et Breton navigue alors entre deux écueils. D’un côté, les fausses légitimités qu’il faut détruire ; de l’autre, la passion de les remplacer par une contre-culture légitime, une topographie des ancêtres. Ce qui deviendra systématique dans l’Anthologie de l’humour noir en 1940 est sensible dès les toutes premières années de l’écriture de Breton : hommages aux maîtres Valéry ou Mallarmé, à la dissidence picturale (Gustave Moreau ou André Derain), aux frères aînés en poésie que sont Rimbaud et Vaché, etc.

La vraie vie est ailleurs, mais comment y va-t-on ? L’image est spatiale, mais cet espace est métaphore du temps. La vie déchire le cours des choses. Le ruptus sépare le vrai du faux, le désir de l’ennui, la poésie du prosaïsme, la liberté de l’engluement. En rupture délibérée avec l’idéologie classique de l’œuvre littéraire - clôture, réseau de significations, portée éthique et dimension esthétique -, Breton peut apparaître aujourd’hui, paradoxalement, comme un sauveur in extremis du littéraire qui au début du siècle s’assoupissait gentiment. En faisant de la rupture un dogme, Breton participait à un possible redémarrage de tout, en intégrant à la fois les solutions éprouvées et les sécessions salutaires. Alors même que son projet était à l’opposé, dans le souci tragique de laisser au merveilleux son intenable statut de brisure, sans souci de rien remplacer. La vraie vie n’existe qu’eu égard au fait qu’elle n’existe pas ; ce serait comme la leçon de Jarry et de Hegel mélangés. Rien ne sert de tenter de vivre, même si le vent qui se lève nous en donne la tentation. Rien ne sert de mourir, puisque l’haleine du désir est trop forte pour qu’on puisse se résigner au désespoir. Les femmes sont trop scandaleusement belles pour qu’on les abandonne au néant. Le trépas ne donne pas assez, il ne reprend pas assez pour qu’on accepte le marché.

[…] Cet été les roses sont bleues ; le bois c’est du verre. La terre drapée dans sa verdure me fait aussi peu d’effet qu’un revenant. C’est vivre et cesser de vivre qui sont des solutions imaginaires. L’existence est ailleurs. (5).

Crevel allume le gaz en oubliant de craquer l’allumette. Nadja, Artaud ou Colette Thomas ont connu le malheur d’être jetés aux psys, grands ordonnateurs du néant moderne. D’autres ont pris les déguisements du séducteur dandy ou du propagandiste stalinien. En ne passant pas à l’acte, contre le taedium vitae appris aux meilleures sources de la poésie du second demi XIXe siècle, dans l’horreur de voir un " étant " remplacé par un autre, Breton prophétise la rupture, l’appelle de ses vœux en conjurant le sort pour qu’elle n’arrive jamais puisque aussitôt elle se détruirait elle-même. Sa seule maîtresse est l’imagination.

[…] Chère imagination, ce que j’aime surtout en toi, c’est que tu ne pardonnes pas.
Le seul mot de liberté est tout ce qui m’exalte encore. Je le crois propre à entretenir, indéfiniment, le vieux fanatisme humain. Il répond sans doute à ma seule aspiration légitime. […] La seule imagination me rend compte de ce qui peut être et c’est assez pour lever un peu le terrible interdit ; assez aussi pour que je m’abandonne à elle sans crainte de me tromper (comme si l’on pouvait se tromper davantage). […]
(6).

On marche sous une " Pluie au bois dormant " (7), on se dirige vers un " château de verre ", mais on s’arrêtera au seuil, en tirant la sonnette de la rupture sans entrer. Ne jamais réaliser, achever, consumer. Ne pas toucher.
Le désir est tragique ; un plus fort que lui venu d’ailleurs le domine, il en est l’instrument. Il jouit de courir à sa perte. Fuir le tragique, pour reprendre pied dans la poésie d’une vie comme héroïque, c’est attendre du désir qu’il n’attende que le désir, qu’indéfiniment il tourne en boucle pour revenir à ses images originelles, aux inflexions des voix qui ne seront suivies d’aucune autre. Comme si à tout moment quelque chose allait se produire, dans un monde où l’on sait bien que rien n’adviendra jamais. Breton n’est ni optimiste ni pessimiste : il se détourne des deux également.

[…] Plutôt la vie avec ses salons d’attente

Lorsqu’on sait qu’on ne sera jamais introduit […] (8).

Vivre déchire la vie pour pouvoir la coudre. Faille impossible, rupture qui ne s’obtient pas par les procédés habituels de scission, tiraillement ou torsion. Ce serait alors un mouvement de transformation du monde réel sur la durée, une foi dans le changement. C’est ce qui se produisit peu après dans le radical malentendu qui présida aux rapports de Breton avec les courants révolutionnaires sous leur forme politique. Il est vrai que la révolution bolchevique avait pu faire croire pendant quelques mois, qu’elle était la figure historique d’une révolution humaine, la première mise en branle matérialiste d’un processus de transformation radicale de l’esprit. Encore qu’il a fallu pour y croire chausser de fameuses lunettes d’amblyope ! Et haïr les pouvoirs bourgeois au point d’imaginer que des marxistes-léninistes pourraient un jour se soucier du monde comme poésie et de l’homme comme lieu de cristallisation du merveilleux !
Les cafouillages théoriques de Breton dans ces années-là disent l’authenticité d’un projet. Dans sa démarche pour traduire l’accès à la vraie vie, et briser tous les états, Breton s’est toujours trompé de méthode. En toute naïveté, en toute lucidité. Condamnée à s’installer dans la rupture, la pensée se replie sur ce qui précède, annonce, anticipe l’action. D’où l’éternel projet de révolution, dans la violence verbale, le bluff et l’intimidation, programme jamais tenu et dont les manifestations ont quelque chose de dérisoire, de nul ou d’agaçant. La rupture est une embardée, un dérapage, une fausse note qui serait la bonne. Un pas de côté, une sortie des rangs. Le merveilleux est ce pas de côté singulier, cette motion et commotion vers l’ailleurs, et non cet ailleurs lui-même qui dès que connu retournerait à sa lourdeur. Breton exhorte au départ, au dérapage des ancres. Mais le capitaine est absent, il n’a indiqué aucune destination et oublié de prévoir le ravitaillement. Seul le bris des chaînes est exaltant et le prolétaire de la poésie n’a pas de monde à gagner : ce serait une chaîne brisée de plus à traîner. Le merveilleux, que Breton confond avec la liberté, lacère la (fausse) vie pour faire apercevoir la vraie par effraction. Sachant bien sûr que toute fausse qu’elle est, elle s’impose à la conscience et que la vraie est inaccessible. On nous a beaucoup fait le coup de l’" autre " vie, de " la vie, la vraie ", du " changer la vie "… Avant et après Breton. Et la vieille bourrique humaine a toujours fini par avancer pour aller la voir, la vraie vie ! Mais la magie blanche de Breton fait échouer ce marché de dupes : pas d’images de séraphins musiciens, de paradis consuméristes ou de faussaires sociaux-démocrates. Quant au bateau ivre, on a bien vu qu’il aurait été plus avisé de profiter du chômage technique de ses haleurs pour retourner à quai : les maelströms épais l’auraient épargné et la morale de l’histoire aurait été moins désespérante. Rien de plus navrant que le récit d’une évasion manquée qui finit au poste de police de l’ordre des choses. La décharge électrique jaillit dans l’émerveillement érotique des mots talismans pour le désigner. Avec la certitude pour le fuyard de n’être pas rattrapé, puisqu’il n’est jamais parti. Elle est nulle, la vie. Mais je ne suis pas de ce monde. Je la dédaigne (La Confession dédaigneuse est de 1924). Le prix à payer est exorbitant, et la vie d’André Breton ne fut pas d’une folle gaieté. " Lâchez tout ! Partez sur les routes ! " (9). Mais partir n’est pas faire la route. Breton n’est pas clochard céleste : il habite du côté de la Place Blanche, il le rappelle au début de Lâchez tout. Ses départs sont une initiation qu’il se donne à lui-même, sur le seuil d’un temple par lui-même jamais édifié. Comme Michaux, sa vaisselle liturgique est en dilution de brouillard, mais il ne l’utilisera pas forcément contre quelque chose. Ni pour, d’ailleurs. Rebelle, il est amoureux de la rébellion. Dépouillé comme pour une ascèse. " Lâchez votre femme. Lâchez vos maîtresses ". Extraordinaire obscénité des mots d’ordre fanfarons ! Extraordinaire vérité en revanche d’une expérience amoureuse qui de l’expérience ne veut retenir que l’amour, qui se débarrasse des épouses et des maîtresses pour pouvoir les aimer. La rupture sentimentale est donc sans importance, tout comme le désespoir, que Breton connaît parfaitement. Car l’amour est plus fort que les amoureux. Je renvoie au texte magnifique " Le Verbe être ", repris dans Clair de terre, qu’il faudrait citer en entier et dont je ne retiens que les dernières lignes :
" Dans ses grandes lignes le désespoir n’a pas d’importance. C’est une corvée d’arbres qui va encore faire une forêt, c’est une corvée d’étoiles qui va encore faire un jour de moins, c’est une corvée de jours de moins qui va encore faire ma vie. "

Reste donc l’amour. L’amour, rupture incandescente du monde. Breton n’en dira rien dans la durée : le roman, même celui de la vie, ne l’intéresse pas. Seule la rencontre est dispensatrice de tout. Rencontre indéfiniment rencontre, éternel retour de la première fois. Pour que le merveilleux serve le principe d’un enchantement du monde, il faut que le monde serve l’enchantement d’un principe. Les rites d’initiation doivent se fermer sur leur strict pouvoir de signification s’ils veulent faire entrevoir une autre présence. Formuler la présence, dessiner l’absence, et faire advenir la présence nouvelle. Mallarmé a commencé. Les pataphysiciens aussi, autrement. S’agirait-il de transsubstantiation ? Non. Même entièrement modifiée la substance reste substance. C’est plutôt d’hypostase qu’il s’agit : par leur puissance d’évocation magique, les mots sont tout à la fois le désir, son objet et sa réalisation. Lorsque j’étais jeune et que j’avais la chance de travailler sous la bonne étoile de Marguerite Bonnet, je pensais que quelques taches noires apportaient un juste correctif au drapeau rouge, celui qui me permettait alors de rendre ma vie plus supportable. Je l’avais lu chez Breton lui-même dans Arcane 17, avec l’évocation de la trouée des drapeaux noirs dans la forêt des oriflammes rouges des rassemblements ouvriers du pré Saint-Gervais. Devenu vieux, je n’aime que les tissus noirs griffés des seuls filets rouges de la Commune de Paris et de la chute de Barcelone. La poésie du monde s’atteint dans la profération du mot, de l’image ou de l’objet, pour s’évanouir comme la fusée d’un feu d’artifice dès que proférée. Il faut croire Breton lorsqu’il voulait que le surréalisme ne soit pas un mouvement artistique de plus, un courant littéraire de plus, mais qu’il reste sans fin le lieu d’une attente, les yeux écarquillés. De l’autre côté du miroir, il n’y a rien dès qu’on prend la peine inutile de le contourner pour aller vérifier. Mais tout devient possible si on reste devant, en se donnant la chance d’une réponse aux questions qui n’en appellent pas. Alice est en droit de converser avec le Lapin Blanc. Les haricots sauteurs sont habités par un petit ver remuant que Roger Caillois fait venir à la barre vermoulue du rationalisme occidental contre l’accusé rêveur Breton. Pauvre Caillois, qui ne voit pas que le langage et le monde si on le regarde, sont la rupture performative qui fonde le seul ailleurs possible, celui qui n’existe pas ! D’autres ont produit des œuvres, des poèmes, des tableaux, voire des idées. Breton s’est arrêté aux règles du jeu et aux manifestes du peu de réalité, en fixant les modalités d’une irréalisation. Il ne contribue pas à la création artistique, occupé qu’il est à rompre les nœuds d’une vie non vécue. Attitude qu’on retrouvera chez les meilleurs des situationnistes qui, comme Raoul Vaneigem, inventeront leur vie comme une poésie sans poème.

Le point sublime ne s’atteint jamais. Insaisissable comme l’aube ou l’horizon. Parce qu’il n’est riche que de ses promesses jamais tenues. " Je cherche l’or du temps " : dixième ligne de l’Introduction au discours sur le peu de réalité, épitaphe de la tombe de Breton au cimetière des Batignolles (10). Le temps, dont l’écriture brise la durée en faisant durer les brisures éternellement, comme la mer chez Valéry ou l’événement chez Nietzsche. Alchimie du sujet qui, dans le secret, passe outre. Ses pas l’entraînent vers un " rivage désolé " (11), guidé par la seule analogie poétique. Il se détourne des mystiques analogies dès qu’une religion de la transcendance s’en empare. Il suscite les catastrophes (rares) pour briser les moments nuls (innombrables) d’une vie. On comprend le sens qu’il donne à l’usage des mots, toujours en expérimentation dans l’automatisme ou l’exposé théorique, toujours rapporté à la précarité de la vie. Les mots font l’amour et jouissent de se mélanger. Ils font aussi l’amour en désignant l’amour sans le représenter. Dans son inutilité et son absence d’" aube éphémère de reflets " (12), dans la vibration hors du temps du déclenchement infini des ruptures incandescentes.

Et pour une fois ne se peut-il que l’expression pour la vie déclenche une des aurores boréales dont sera fait le tapis de table du Jugement Dernier ? (13).

Je t’aime pour la vie. Je t’aime pour la vie.

P.-S.

NOTES

1. « Plutôt la vie », Clair de terre, 1923 ; édition consultée : NRF, Poésie / Gallimard, 1966, p. 72.

2. Poisson soluble, chapitre 7, 1924 ; édition consultée : NRF, Poésie / Gallimard, 1996, p. 48.

3. Manifeste du surréalisme, 1924 ; édition consultée : Manifestes du surréalisme, collection Folio / Essais, Gallimard, 2000, p. 13.

4. Poisson soluble, chapitre 3, op. cit., p. 36.

5. Manifeste du surréalisme, op. cit., p. 60.

6. ibid., pp. 14 et 15.

7. Poisson soluble, op. cit., p. 73.

8. « Plutôt la vie », op. cit., p. 73.

9. « Lâchez tout », 1922, Les Pas perdus  ; édition consultée : l’Imaginaire Gallimard, 1969, p. 105.

10. « Introduction au discours sur le peu de réalité », 1924, Point du jour ; édition consultée : Folio / Essais, Gallimard, 1970, p. 9.

11. Poisson soluble, op. cit., p. 45.

12. « Pièce fausse », Clair de terre, op. cit., p. 48.

13. « Privé », Clair de terre, op. cit., p. 62.

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